Concerts

Musiques rares

Janacek, Penderecki, Ligeti, voici trois noms de compositeurs qui ne figurent pas si souvent sur les affiches des concerts symphoniques. Réjouissons-nous donc que l’Orchestre du Capitole les ait programmés pour leur concert du 10 décembre dernier. Le chef israélien Ilan Volkov, déjà bien connu sur les berges de la Garonne pour avoir plusieurs fois dirigé la phalange toulousaine, était invité une fois de plus à visiter le répertoire du XXe siècle dans lequel il excelle.

Leos Janacek ouvrait et clôturait cette soirée de découvertes. Le court et rare poème symphonique « La ballade de Blanik » illustre l’une des grandes légendes de Bohème : celle des guerriers hussites ensevelis sous une colline, prêts à sauver la nation tchèque. Cette musique vive et colorée raconte une histoire et la commente avec ce style, ces harmonies et ce rythme si personnels qui font que l’on reconnait toujours Janacek dès les premières notes. Sous la direction précise, alerte d’Ilan Volkov, l’orchestre virevolte en toute transparence.

Antoine Tamestit, soliste du concerto pour alto et orchestre de Penderecki, l’Orchestre du Capitole étant placé sous la direction d’Ilan Volkov
(Crédit photo – Classictoulouse)

Du même Janacek, la rhapsodie pour orchestre Taras Bulba, qui conclut le concert, déploie sa grande fresque à la fois tragique et épique sous les rutilances dynamiques d’une orchestration raffinée. Abordée par Ilan Volkov comme une sorte d’opéra sans voix chantée, cette brûlante musique alterne les épisodes contrastés, les cris de haine et les solos idylliques, la douleur et l’apothéose finale. Acérée, précise, expressive, l’exécution de cette épopée fait chaud au cœur.

Entre ces deux pièces, le noyau dur des musiques plus actuelles confronte néanmoins Penderecki et Ligeti, si différents de démarche et de style. Le concerto pour alto et orchestre de Krzystof Penderecki concentre toute la douleur du monde. Les interprètes en expriment tous les méandres, toutes les facettes. Dès le grand solo initial, Antoine Tamestit déploie sans ostentation aucune sa somptueuse sonorité qu’il place au service d’une expression intense et implacable. Douloureux, tragique ce solo conduit au dialogue poignant avec un orchestre palpitant de compassion et d’intériorité. Dans les redoutables cadences ménagées par le compositeur, Antoine Tamestit non seulement assume avec panache les difficultés techniques, mais il sait les soumettre à la suprématie du drame qui se joue. La connivence avec l’orchestre est totale, jusqu’à l’évanouissement final de la plainte, devenue prière. Un très grand moment d’émotion. C’est avec deux bis que le soliste calme difficilement l’enthousiasme d’un public visiblement et légitimement ému : à une pièce diabolique de Paul Hindemith pour laquelle « la beauté du son n’est pas primordiale » (d’après le compositeur lui-même) succède une magique transcription pour alto de la Sarabande de la 5ème suite pour violoncelle seul de Bach

Même si l’émotion n’est pas, a priori, le thème conducteur de « Lontano » de György Ligeti, l’œuvre phare du compositeur si souvent sollicité par le réalisateur Stanley Kubrick touche par son impalpable immatérialité. Emergeant du silence, cet unisson fascinant génère un étrange climat, mouvant, scintillant, comme un nuage sonore venu d’un infini sidéral. Ilan Volkov en organise le développement hypnotique avec finesse et intelligence, animant cet apparent immobilisme d’une multitude de micro-événements éblouissants ou inquiétants. Le silence qui suit cette partition semble encore lui appartenir. L’orchestre y scintille avec toute la subtilité que requiert l’œuvre.

Souhaitons le retour de telles découvertes musicales si habilement défendues.

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