Concerts

Musiques contemporaines d’hier et d’aujourd’hui

Rarement un programme de concert aura réuni des musiques aussi éloignées par l’époque et le langage, et néanmoins si proches par l’esprit. Le 5 décembre dernier, l’ensemble « Les Sacqueboutiers » convoquait à la même table compositeurs de la Renaissance et créateurs de notre temps. L’innovation reste le caractère essentiel, le point commun à ces deux époques.

L’ensemble instrumental, composé de Jean-Pierre Canihac, cornetto, Daniel Lassalle, sacqueboute, Laurent Le Chenadec, dulciane et Yasuko Bouvard, orgue, avait invité la soprano Anne Magouët, une habituée du répertoire de la Renaissance qu’elle chante avec passion.

Un choix de pièces expressives de ce 17ème siècle florissant occupait la première partie de ce diptyque. De l’éblouissant Frescobaldi (une canzon légère et raffinée) au génial Monteverdi de la « Selva Morale », « Les Sacqueboutiers » explorent ces rivages avec la finesse, la musicalité et la force expressive qu’on leur connaît. Anne Magouët s’investit notamment dans un « Pianto della Madona » de Giovanni Felice Sances d’une intensité tragique. La rondeur de la voix, l’engagement expressif font merveille. Yasuko Bouvard, à l’orgue solo, place son grand talent au service d’une Toccata éblouissante de Merulo.

Laurent Le Chenadec, de son côté, procède à une démonstration musicale originale. Celle d’une copie de basson ancien, fabriquée à partir d’une description de Mersenne (1588-1648). Capable de descendre jusqu’au si bémol, cet instrument original est utilisé dans la fameuse pièce de Bartolomeo di Selma y Salaverde « Suzanne un jour » à laquelle Laurent Le Chenadec confère éloquence et ferveur, grâce à d’étourdissantes ornementations.

Le second volet, dit « contemporain », de la soirée aborde d’abord le répertoire expérimental du grand Luciano Berio, créateur imaginatif et fécond disparu en 2003. La Sequenza V, pour trombone solo, décline toutes les possibilités de l’instrument, de la plainte à l’ironie, du cri au murmure. Daniel Lassalle, joue à fond le jeu de l’hommage au fameux clown Grock dont il adopte le déguisement. Entre le rire et les larmes, son interprétation, devenue exemplaire au fil des ans, bouleverse par sa sincérité.

La soprano Anne Magouët

Quant à la Sequenza III, pour voix de femme, elle rassemble un concentré de tous les modes possibles d’expression de la voix humaine. Soupir, plainte, rire, larmes, chant… Anne Magouët en détaille chaque élément avec un intense pouvoir de conviction, une mobilité impressionnante, sans négliger la grande ligne.

Enfin les musiciens et la cantatrice unissent leurs talents pour interpréter en création mondiale la commande adressée par les Sacqueboutiers à Gérard Duran, directeur du Conservatoire de Toulouse, à l’occasion du trentième anniversaire de la création de l’ensemble. L’œuvre originale illustre le poème de Clément Marot, « Ainsi l’amour » avec son langage propre, très actuel. Là aussi, la voix explore tous les registres du possible, entre la parole et le chant. Et quel chant ! Lyrique, passionné, déclamatoire et sensible. L’instrumentarium des Sacqueboutiers sonne avec une intensité, une diversité de couleurs, une richesse expressive surprenantes, comme autant de voix multiples. L’émotion est bien là !

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