Concerts

Musiques célestes

Le tout dernier concert de la saison Grands Interprètes, riche en événements de qualité, retrouvait à la Halle aux Grains toulousaine l’une des deux phalanges de Radio-France, le célèbre Orchestre Philharmonique, sous la baguette de son directeur musical Myung-Whun Chung. La soprano allemande Mojca Erdmann réalisait par sa présence le lien entre les deux œuvres inscrites au programme et a priori bien différentes de styles, l’Et incarnatus est, de la Grande Messe en ut mineur, de Mozart, et la 4ème symphonie en sol majeur, de Mahler.
Le lien subtil qui rapproche ces deux partitions musicales réside dans l’évocation angélique du paradis dont les deux compositeurs évoquent ici les douceurs. Dans sa monumentale, bien qu’inachevée, Grande Messe en ut mineur, Mozart réserve les interventions de la soprano à la voix de celle qui deviendra son épouse, Konstanze Weber. L’écriture de l’Et incarnatus est représente un modèle de raffinement et de grâce presque enfantine. La vocalisation chantournée de cette aria laisse l’impression d’une musique en état d’apesanteur qui refuse de se poser, de rejoindre la Terre. La soprano Mojca Erdmann y déploie un timbre naturel, sans apprêt, qui n’est pas sans évoquer celui d’un enfant. Elle est entourée d’un orchestre plutôt copieux pour cet extrait angélique, mais parfaitement maîtrisé par le chef. Les beaux instruments à vent de la phalange s’enroulent avec élégance autour de la voix.

La soprano Mojca Erdmann et Myung-Whun Chung à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France
– Photo Classictoulouse –

Achevée en 1900, alors que les étés au bord du Wörthersee du directeur de l’Opéra de Vienne étaient consacrés à la composition, la quatrième symphonie représente une halte dans la succession des partitions monumentales de Gustav Mahler. Ses quatre mouvements construisent une sorte de parcours initiatique vers le monde lumineux de l’enfance d’où toute souffrance a disparu. Le choix des tempi, si stratégique ici, définit dès les premières mesures du Bedächtig. Nicht eilen. Recht gamächlich (délibéré, sans hâte, très à l’aise) le caractère de toute la symphonie. Myung-Whun Chung choisit un tempo médian, aussi éloigné de la hâte que de l’alanguissement de certaines interprétations historiques. Il souligne l’humour distancié de toute cette première partie, les ruptures de ton, les contrastes expressifs, la malice poétique. Le deuxième volet, In gemächliger Bewegung. Ohne hast (dans un tempo modéré, sans hâte) le premier violon désaccordé (en ré), est censé incarner le Diable. Pour le compositeur, l’instrument représente ici « Le violon de la mort ». Myung-Whun Chung crée un climat de malaise sarcastique. Il réalise de curieux effets de loupe sur certains pupitres, comme pour insister sur le caractère de musique de chambre symphonique de ce mouvement.

Les interprètes de la quatrième symphonie de Mahler à l’issue du concert du 27 juin

– Photo Classictoulouse –

Une grande rupture se produit avec la troisième partie, intitulée simplement Ruhevoll (tranquille). Le rêve nostalgique qui ouvre le mouvement laisse un moment la place à l’expression tragique. L’orchestre et son chef réalisent là le sommet de leur interprétation. L’émouvante progression n’élude ni la profondeur intériorisée ni l’éclat des accents dramatiques. La conclusion explosive du mouvement embrase d’un même élan la Terre et le ciel. Un ciel qui s’ouvre alors sur l’enchaînement subtil avec le mouvement final, Das himmlische Leben : Sehr behaglich (La vie céleste : très paisible). Le très baudelairien « Vert paradis des amours enfantines » s’ouvre alors sur les couplets extraits du recueil « Des Knaben Wunderhorn » (Le cor merveilleux de l’enfant) dans lequel Mahler a tant puisé. La soprano Mojca Ermann en déclame les termes avec une voix fraîche, juvénile, à la fois fragile et malicieuse. Le silence qui conclut l’œuvre se prolonge longuement, comme pour se fondre dans une sérénité enfin gagnée.

Difficile après cela de reprendre pieds dans la réalité. Pourtant, l’accueil chaleureux du public réclame un bis. Annoncée par Myung-Whun Chung, la pièce jouée fait également appel au monde de l’enfance : Le Jardin féérique, final de la suite « Ma mère l’Oye », de Maurice Ravel, d’une lumineuse poésie, conclut la soirée et la saison.

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