Concerts

L’Orient mythique

C’est à un voyage musical au long cours qu’étaient conviés les habitués des concerts de l’Orchestre national du Capitole, le 3 novembre dernier. Sous la direction attentive et précise de Tugan Sokhiev, les musiciens toulousains voyaient en outre deux des leurs incarner les solistes de la soirée. La flûtiste solo Sandrine Tilly et la violoniste supersoliste Geneviève Laurenceau accédaient ainsi aux responsabilités musicales suprêmes.
Un orchestre en grande forme, deux solistes motivées, un programme haut en couleurs concocté par un chef particulièrement à l’aise, tout était réuni pour le grand succès ménagé par un public conquis. La soirée s’ouvre sur une pièce étonnante de Balakirev, cauchemar des élèves pianistes, cheval de bataille des broyeurs d’ivoire patentés, Islamey. Réputée presque injouable, cette partition, inspirée au compositeur par un air traditionnel du Caucase, permet au virtuose de déployer toutes ses capacités digitales. Orchestrée par l’élève préféré de Balakirev, elle se pare de couleurs luxuriantes tout en conservant son excitation rythmique étourdissante. L’orchestre s’y investit avec une redoutable précision. Tugan Sokhiev construit ce tableau comme on bâtit un arc de triomphe, éclaboussé de lumière.

Sandrine Tilly, soliste du concerto n° 1 pour flûte et orchestre de Weinberg, avec l’Orchestre
national du Capitole, dirigé par Tugan Sokhiev
– Photo Classictoulouse –

Sandrine Tilly, brillante flûtiste solo de l’orchestre, offre ensuite une découverte. Celle du concerto n° 1 pour flûte et orchestre à cordes du compositeur polonais, implanté à Moscou, Mieczyslav Weinberg. Compagnon de Chostakovitch, Weinberg a connu la célébrité dans le sillage de l’auteur de Lady Macbeth de Minsk. Le premier volet de ce concerto, Allegro molto, mobilise la virtuosité de la soliste comme celle des cordes qui l’accompagnent. Une frénésie rythmique l’anime de bout en bout dans une sorte de course motorique pleine d’énergie. Le mouvement central, Largo, rejoint les méditations poignantes et angoissées d’un Chostakovitch. La soliste en souligne avec art l’émotion contenue, le lyrisme dépouillé. L’Allegro comodo final s’inspire d’une valse klezmer, une tradition musicale juive pratiquée couramment dans la famille de Weinberg. Ce motif obsessionnel donne à Sandrine Tilly l’occasion d’un duo sensible avec le violon solo de Daniel Rossignol, menant vers une coda animée et abrupte. Longuement applaudie, Sandrine Tilly offre en bis le magique Syrinx, de Debussy. Un moment de rêve éveillé auquel la flûtiste apporte toute la poésie de son jeu, jusqu’aux limites du silence.

Geneviève Laurenceau, violon solo, à l’issue de son interprétation de Shéhérazade,

avec l’Orchestre national du Capitole dirigé par Tugan Sokhiev – Photo Classictoulouse –

Basée sur les fameux Contes des Mille et une nuits, la suite symphonique Shéhérazade, de Nikolaï Rimski-Korsakov, reste un modèle de richesse orchestrale. Peu de partitions permettent à ce point de faire briller les différents pupitres d’un orchestre. Comme un véritable concerto pour orchestre, cette partition luxuriante offre en outre à chaque section instrumentale un ou plusieurs solos stratégiques. Les premiers d’entre eux concernent l’héroïne de ces contes, la douce Shéhérazade qui prolonge sa vie grâce à ses récits d’aventure. Le violon de Geneviève Laurenceau incarne à merveille cette touchante héroïne. Tout au long de ses interventions s’élabore un portrait généreux, soutenu par une technique impressionnante et une sensibilité pleine de tendresse et d’élégance. La longue tenue finale émeut comme une prière.

Tugan Sokhiev base son approche de l’œuvre sur l’ampleur d’une houle du grand large. L’éclairage mouvant, la somptuosité des couleurs, les ruptures de rythme animent cette suite comme un enchaînement de séquences cinématographiques. La beauté des timbres instrumentaux, la complémentarité des sections orchestrales et leur équilibre, la richesse et la plénitude de leurs combinaisons brossent un tableau d’une grande beauté expressive. Cette rutilance instrumentale se retrouve en chacune des interventions solistes. Le violoncelle de Pierre Gil, la flûte de François Laurent, le hautbois d’Olivier Stankiewicz, le basson de Lionel Belhacène, la clarinette de David Minetti, le cor de Jacques Deleplancque, la harpe de Gaëlle Thouvenin, le trombone d’Aymeric Fournès, la trompette de René-Gilles Rousselot, la timbale de Jean-Loup Vergne, épicent ces contes mémorables de leurs talents conjugués. Tugan Sokhiev leur rend d’ailleurs un hommage appuyé en fin de concert, avec une mention spéciale pour le tromboniste Paul Roques qui prend une belle retraite au terme d’une carrière exemplaire. L’aventure musicale continue…

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