Le concert Grands Interprètes du 29 mai dernier, le dernier de la saison, réunissait un grand orchestre français, son Directeur musical, titulaire de nombreuses récompenses internationales, et un prodigieux pianiste, premier Français à remporter la médaille d’or du Concours Tchaïkovski. Un programme de musique française avait attiré un public nombreux et enthousiaste qui a empli totalement la Halle aux Grains.
Rappelons que l’Orchestre national de France est le premier orchestre symphonique permanent fondé en France en 1934. Tout au long de son histoire, il a été dirigé par les chefs les plus demandés. Son Directeur musical actuel, Cristian Măcelaru, a pris ses fonctions le 1er septembre 2020. Il est né à Timișoara (Roumanie) en 1980. En 2012, il a reçu le Solti Emerging Conductor Award, prix décerné aux jeunes chefs d’orchestre, puis en 2014 le Solti Conducting Award. Il dirige depuis lors les plus grands orchestres américains. La dernière venue à Toulouse de l’Orchestre national de France date du 7 octobre 2017.
C’est donc le jeune et déjà célèbre pianiste Alexandre Kantorow qui est le soliste de cette soirée. Il était déjà présent à Toulouse lors du concert Grands Interprètes du 28 février dernier en compagnie du Hong Kong Philharmonic Orchestra.
Ce concert du 29 mai s’ouvre sur une œuvre de jeunesse d’un musicien qui disparait à l’âge de 39 ans, Frédéric Chopin. Cette partition d’un compositeur né Polonais introduit donc un concert de musique française ! Reconnaissons que Chopin, d’ascendance française, a maintenu des liens étroits avec notre pays. Son Concerto pour piano n° 2 en fa mineur, opus 21, composé en 1829, est en fait chronologiquement le premier qu’ait écrit Chopin. Sa numérotation provient du fait qu’il n’a été édité qu’en 1836, trois ans après le Premier Concerto pour piano.
Alexandre Kantorow aborde cette œuvre virtuose comme le grand musicien qu’il est. La rondeur de sa sonorité, son toucher profond animent la partition comme un peintre colore sa toile. Fluidité et héroïsme caractérisent son jeu dans le Maestoso initial, tout empreint d’énergie positive. Le dialogue avec l’orchestre fonctionne à merveille. Dans le Larghetto, chant lyrique dédié à la jeune Konstancja Gladkowska à qui, en grand secret, Chopin dédia ce deuxième mouvement, le pianiste mêle poésie et révolte. Il en analyse la complexité avec un art consommé. Dans le final Allegro vivace, la vivacité de son jeu est soutenue par une ardeur parfaitement maîtrisée. Son jeu félin favorise les échanges avec un orchestre dirigé avec un enthousiasme toujours contrôlé.
L’ovation du public convainc le pianiste à prolonger sa participation avec, non pas un, mais deux bis contrastés. Il joue d’abord la première des Harmonies poétiques et religieuses, intitulée Invocation et numérotée S. 173 :1 de Franz Liszt. Virtuosité et poésie font ici bon ménage. Il poursuit avec une pièce étonnante du jazzman Keith Jarret intitulée Danny Boy (Londonderry) basée sur une ballade irlandaise. Nostalgie au programme…
La seconde partie du concert s’ouvre sur les célèbres trois esquisses symphoniques La Mer, de Claude Debussy. Cette symphonie qui n’en porte pas le nom constitue une évocation poétique d’une exceptionnelle beauté. Cristian Măcelaru et son orchestre en offrent une exécution d’une opulence sauvage. Emergeant du silence, le premier volet, De l’aube à midi sur la mer, évolue vers une impressionnante lame de fond qui rappelle le bouillonnement et le fracas des vagues. La séquences Jeux de vagues évolue dans une atmosphère lumineuse pleine de couleurs évocatrices. C’est le volet final, Dialogue du vent et de la mer, qui déchaîne les plus vives sensations de danger. Lames de fond, éclaboussures prennent possession de tout l’orchestre. La coda éblouit comme une explosion musicale !
La partition finale représente l’un des « tubes » classiques les plus diffusés au monde. Composée en 1928 par Maurice Ravel pour sa dédicataire, la danseuse russe Ida Rubinstein, cette musique de ballet, baptisée Boléro, a conquis le monde par son originalité. Un double thème, obstinément répété, installe une atmosphère hypnotique à laquelle on ne peut résister. Outre la caisse claire qui assène le rythme immuable de toute l’œuvre, la variété de son caractère n’est due qu’à l’alternance des instruments qui se succèdent. De la flûte, première à s’exprimer, au tutti ravageur final, toutes les combinaisons instrumentales apportent leurs savoureuses contributions colorées. Saluons la précision de la direction de Cristian Măcelaru qui obtient de son orchestre cette nécessaire et immuable constance dans le tempo. Aucune nuance parasite ne vient troubler le déroulement de la pièce. La qualité de tous les solos instrumentaux atteint là des sommets. Que l’on me permette de distinguer, parmi l’ensemble des interventions, celle, particulièrement redoutable, du trombone. Une grande acclamation lui sera d’ailleurs adressée à l’issue de cette exécution remarquable.
L’ovation unanime que reçoit l’ensemble du concert obtient là aussi un prolongement musical de deux bis de musique française, décidemment à l’honneur ce soir-là. Extrait de l’opéra de Camille Saint-Saëns Samson et Dalila, la bacchanale déchaîne une nouvelle explosion de couleurs. Plus intime, la somptueuse Pavane op. 50 de Gabriel Fauré conclut enfin cette soirée caractérisée par la grande générosité de l’ensemble des musiciens, du soliste Alexandre Kantorow aux membres de l’Orchestre et à leur chef. Bravo à tous !
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 29 mai 2024 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :
- Frédéric Chopin : Concerto pour piano et orchestre n°2, en fa mineur, opus 21
- Claude Debussy : La Mer, trois esquisses symphoniques
- Maurice Ravel : Boléro, pour orchestre