Le 10 septembre dernier, le grand pianiste et chef d’orchestre allemand Christian Zacharias renouait avec le Festival Piano aux Jacobins où il a fait ses débuts dès 1983. Une fidélité qui lui confère une place particulière dans le cœur des mélomanes toulousains. Ce soir-là, l’intensité, la profondeur de son jeu, mais aussi l’originalité de son programme ont de nouveau conquis un public nombreux et ébloui.
Lorsqu’il se présente dans le cloître mythique des Jacobins, le grand musicien impose immédiatement sa présence particulière. Dès les premiers accents qu’il tire de son piano, la sonorité veloutée, le raffinement des nuances, en un mot la musicalité de son jeu font merveille. Disons tout d’abord que la composition de son programme sort largement des sentiers battus. La première partie offre une subtile confrontation entre deux compositeurs rarement réunis. La géniale partition des Six Moments Musicaux D. 780 de Franz Schubert se trouve encadrée par deux pièces lumineuses de Joseph Haydn. Le même esprit mutin, la même grâce habitent le jeu ciselé du pianiste dans les deux sonates du compositeur majeur du classicisme, respectivement en sol majeur puis en do majeur. La perfection technique accompagne la délicatesse du toucher.
Une grande émotion émane de l’exécution des Six Moments Musicaux de Schubert qui s’insèrent entre ces deux sonates. Ces six courtes pièces de la période créatrice tardive du musicien contiennent des trésors de raffinement et de profondeur. Autant de qualités que Christian Zacharias magnifie à l’extrême. Suivant les pièces, la tendresse prend le pas sur la souffrance, la grâce sur la douleur. Et cette charge émotionnelle s’exerce toujours sans le moindre pathos. Indéniablement, ce moment restera gravé dans les mémoires et les cœurs !
Dans la seconde partie, le pianiste se lance dans une sorte de voyage intérieur, un chemin de traverses d’une incroyable originalité. Comme il l’explique lui-même, il décide de mêler deux styles, deux époques, deux personnalités apparemment bien différentes, celle du compositeur baroque François Couperin et celle du musicien du XXème siècle qui fut qualifié de « moine et voyou », selon la célèbre formule de Claude Rostand, Francis Poulenc.
La pièce Les Moissonneurs, extraite du premier livre pour clavecin de Couperin, s‘enchaîne astucieusement avec le Mouvement perpétuel de Poulenc. Le voisinage des tonalités et des propos transcende largement les différences de style.
La Sonate en do mineur K. 158, de Domenico Scarlatti, vient même mettre son grain de sel entre deux Improvisations (n° 13 et n°15, « Hommage à Edith Piaf ») de Francis Poulenc. La belle logique des enchaînements s’effectue sans hiatus aucun. Là aussi, la permanence des intentions musicales enjambe les siècles !
L’épisode baroque s’achève sur l’une des pièces les plus emblématiques de l’œuvre pour clavier de Couperin, Les Barricades Mystérieuses. La vivacité conjuguée au caractère mélancolique et mystérieux de cette partition ouvre la voix aux deux dernières œuvres de Poulenc, l’Intermezzo n° 2 et Mélancolie où se mêlent fantaisie et nostalgie.
Une ovation spontanée et enthousiaste du public ramène le pianiste sur la scène de la salle capitulaire. Il offre alors un bis du compositeur dont il est indéniablement l’un des plus grands interprètes, Domenico Scarlatti. L’une de ses 555 sonates, (laquelle ?) conclut dans un sourire cette belle soirée.
Serge Chauzy