Une ovation sans fin a accueilli, le 28 juin, l’impressionnante exécution de la 3ème symphonie de Mahler par l’Orchestre National du Capitole, le Chœur de femme de l’Orfeón Donostiarra, le Chœur d’enfants et de jeunes Les Eclats et la grande contralto Anna Larsson, tous dirigés par Tugan Sokhiev en état de grâce. Cette vaste symphonie, sorte d’hymne panthéiste, célèbre les beautés de la Création avec des moyens orchestraux et expressifs exceptionnels. La phalange toulousaine y déploie une grandeur, une précision, une ferveur qui motivent l’accueil enthousiaste du public.
La soirée s’ouvre sur une intervention du représentant syndical de l’orchestre, le violoniste Yves Sapir, qui informe l’assistance des inquiétudes des professions de culture devant les perspectives de réduction des moyens accordés à ce secteur clé de nos civilisations. Le soutien des musiciens au mouvement des intermittents et précaires de ce secteur est en particulier réaffirmé avec conviction et dignité dans ce court plaidoyer en outre très bien accueilli par le public.
Le choeur d’enfants et de jeunes Les Eclats (au fond à gauche), le choeur de femme de l’Orfeón Donostiarra, la contralto suédoise Anna Larsson (à droite), et l’orchestre dirigé par Tugan Sokhiev
– Photo Classictoulouse –
La musique vient à point confirmer le rôle important qui est le sien en tant que lien social. Une musique miroir du monde. Faut-il rappeler que Mahler accueillit le chef d’orchestre et ami Bruno Walter sur les lieux champêtres de composition de sa symphonie avec cette réplique devenue célèbre : « Inutile de regarder le paysage, il est passé tout entier dans ma musique ! ». A propos de cette œuvre, il écrivit : « Ce n’est presque plus de la musique, ce ne sont pour ainsi dire que des bruits de la Nature. Cela donne le frisson de voir comment la vie se dégage progressivement de la matière inanimée et pétrifiée… jusqu’à ce qu’elle se différencie de degré en degré dans des formes d’évolution toujours plus élevées : les fleurs, les animaux, l’homme, jusqu’au royaume des esprits, jusqu’aux anges… »
Les six mouvements de la symphonie possédaient à l’origine des titres qui constituaient un véritable programme littéraire, à l’image des grands poèmes symphoniques en vigueur à l’époque. Même si le compositeur a finalement décidé de supprimer ces titres, ceux-ci possèdent un riche pouvoir suggestif et méritent d’être rappelés. L’interprétation riche et colorée que Tugan Sokhiev met en œuvre avec passion se fonde d’abord sur une précision et un respect absolus des évocations poétiques. Toutes les forces de ce bel orchestre se concentrent avec ferveur sur une grande fidélité au texte musical. Le soin apporté aux détails s’accompagne en outre d’une vision d’ensemble de la grande courbe. Rigueur et souplesse font ici bon ménage.
L’« ouverture » solennelle du premier mouvement, « Pan s’éveille », donne la mesure de la grandeur du propos. Comme un lever de soleil, le somptueux pupitre de cors y règne en maître. Tout ce premier volet s’organise autour d’une série de marches admirablement ordonnancées. L’éclat des cuivres, la volubilité des bois, l’implacable scansion des percussions, tout concourt à la vitalité dont témoigne cette première partie. Le long solo de trombone de Dominique Dehu impressionne par sa maîtrise et l’intensité de son expression. Dans le Tempo di minuetto (« Ce que me racontent les fleurs de la prairie ») Tugan Sokhiev prend un tempo d’une lenteur parfaitement assumée. Il développe là un langage de musique chambre, touchant et très évocateur. Avec le Comodo, scherzando, (« Ce que me racontent les animaux de la forêt ») l’humour entre en jeu. Les bois s’en donnent à cœur joie ! La puissante apostrophe du coucou : « Kuckuck ist tod » (le coucou est mort) lancée par la clarinette ironiquement impertinente de David Minetti réjouit l’auditeur. La tendre intervention depuis la coulisse, du cor de postillon, si délicate d’exécution, impressionne par sa perfection et sa musicalité. Grâce doit en être rendue à Philippe Litzler.
Tugan Sokhiev et l’Orchestre National du Capitole
– Photo Classictoulouse –
Le quatrième mouvement (« Ce que me raconte la nuit (l’Homme) ») constitue un sommet d’émotion. La voix de contralto ponctue ce nocturne d’un extrait du Zarathoustra de Nietzsche. L’orchestre soutient avec une immense délicatesse, une indéfectible tendresse, le timbre de velours d’Anna Larsson, grande musicienne et interprète raffinée (elle est actuellement à l’affiche de l’opéra de Richard Strauss, Daphné, donné au Théâtre du Capitole). La nuit, le rêve habitent cette sublime évocation de la profondeur du monde. Le contraste est d’autant plus éclatant de lumière avec la fraîcheur des voix de femmes et d’enfants qui ouvrent la section suivante, « Ce que me racontent les cloches du matin (les anges) ». Cet extrait du recueil « Des Knaben Wunderhorn », évocation d’un paradis de pureté, illumine ce long voyage vers l’infini. Là aussi le commentaire de l’orchestre résonne comme un sourire avant la grande péroraison du final.
L’ultime étape du voyage, initialement intitulée « Ce que me raconte l’Amour », représente une longue marche vers une sorte d’idéal. Cette lente montée « parsifalienne » vers la lumière donne le frisson. Emergeant du silence, les cordes tissent un lien continu et irrésistible. La qualité des pupitres de cordes trouve ici un terrain inépuisable de beauté expressive. La direction de Tugan Sokhiev balise ce chemin de haltes douloureuses. Le chef et ses musiciens, d’une formidable concentration, gravissent le crescendo final dans une atmosphère d’extase sacrée. Bouleversant !
Chaque artisan de cette réussite doit être remercié, en particulier les chefs des pupitres de trompette, de cor, de trombone, de clarinette, de flûte, de hautbois, de basson, et bien évidemment la première d’entre eux, Geneviève Laurenceau, violon solo, pour la beauté musicale de ses interventions.
Pendant les quelques quinze minutes d’ovation qui suivent, Tugan Sokhiev rend hommage au percussionniste Michel Ventula qui prend une retraite bien méritée au cours de l’été. Il remercie également les deux chefs de chœur, José Antonio Sainz Alfaro (Orfeón Donostiarra) et François Terrieux (Les Eclats). La présente saison s’achève également sur une belle récompense qui honore l’orchestre à travers son directeur musical. Tugan Sokhiev vient en effet d’être nommé « Personnalité musicale de l’année » par le Syndicat de la critique, Théâtre, Musique et Danse. Toutes nos félicitations pour cette récompense si largement méritée !
N. B. : Ceux de nos lecteurs qui n’ont pas pu assister à ce concert peuvent y avoir néanmoins accès à travers Internet, puisque la soirée a été filmée et enregistrée en direct sur les deux chaînes Arte concert :
(http://concert.arte.tv/fr/tugan-sokhiev-dirige-la-symphonie-ndeg-3-de-gustav-mahler) et Medici.tv : (http://fr.medici.tv/#!/tugan-sokhiev-anna-larsson-mahler-symphony-3-capitole)