Le concert donné le 11 janvier dernier par l’Orchestre national du Capitole fera date. En effet, sous la direction, sous l’impulsion irrésistible, de son Directeur musical Tarmo Peltokoski, la formation symphonique toulousaine a permis la redécouverte d’un compositeur injustement négligé et d’une œuvre d’une ampleur stupéfiante. Ce soir-là, la première des neuf symphonies du Britannique Ralph Vaughan Williams a conquis l’ensemble d’un public venu en nombre assister à l’événement.
Si quelques œuvres de Ralph Vaughan Williams apparaissent parfois dans les programmes des concerts de musique de chambre, sa musique symphonique reste rarissime. Si ce n’est celle de son court poème symphonique The Lark Ascending (L’Envol de l’alouette), inspiré du poème éponyme de George Meredith. Rappelons à cet égard que Tarmo Peltokoski avait dirigé cette pièce lors du concert donné le 21 octobre 2022 par l’Orchestre national du Capitole. Rappelons également que Tarmo Peltokoski souhaite ardemment contribuer à la réhabilitation de l’œuvre du compositeur en planifiant de diriger à la Halle aux Grains l’intégralité de ses neuf symphonies avec son orchestre. Des enregistrements sous le label Deutsche Grammophon favoriseront, n’en doutons pas, la diffusion de ces symphonies et, souhaitons-le, leur reconnaissance nouvelle.
Avec sa première symphonie intitulée A Sea Symphony, inscrite au programme du concert du 11 janvier, le jeune Ralf Vaughan Williams avait frappé un grand coup ! Créée au festival de Leeds le 12 octobre 1910, elle est conçue pour soprano, baryton, chœurs, orchestre et orgue. Sur des textes de Walt Whitman, poète américain peu connu à cette époque, elle se compose de quatre mouvements contrastés et d’un dynamisme irrésistible.
Saluons tout d’abord les qualités générales de son exécution toulousaine. La direction de Tarmo Peltokoski s’attache avec autant d’attention aux détails de l’œuvre qu’à sa ligne générale. Les musiciens dont on connaît les qualités individuelles et collectives semblent encore se surpasser d’un bout à l’autre de l’œuvre. Le rôle prépondérant du chœur est ici assumé (et avec quel panache !) par le célèbre Orfeón Donostiarra (chef de chœur José Antonio Sainz Alfaro) si souvent présent à Toulouse lors des grands événements choraux. Justesse, précision, équilibre des registres caractérisent cette belle formation chorale. Les deux chanteurs solistes se hissent également au plus haut niveau. La soprano Chen Reiss, déjà subtile interprète des Quatre derniers lieder de Richard Strauss lors du concert du 3 mai dernier, toujours sous la direction de Tarmo Peltokoski, place la lumière de son timbre au service de ses deux interventions. Le grand baryton Sir Simon Keenlyside, grand interprète lyrique, apporte une noblesse impressionnante à ses trois déclamations. L’orgue, parfaitement intégré au tissu orchestral, est tenu par Emmanuel Pélaprat.
Le premier mouvement, intitulé Song for all seas, all ships (Chant pour toutes les mers, tous les bateaux) pour baryton, soprano et chœur s’ouvre sur une véritable explosion d’un lyrisme éperdu. Le chœur impose sa présence impressionnante en écho aux somptueux éclats instrumentaux d’où émergent les voix solistes, comme portées par la houle.
Le deuxième volet, On the beach at Night, alone (Sur la plage la nuit, seul) pour baryton et chœur, introduit un souffle de mystère et de douceur que commente et accompagne la subtile déclamation de la voix soliste. Avec le Scherzo : the Waves (Les vagues), seul le chœur donne la réplique aux assauts fébriles de l’orchestre. L’agitation est à plusieurs reprises interrompue par des accents martiaux, comme pour s’opposer aux menaces des ondes.
Le vaste final, The explorers : Grave e molto Adagio, (Les explorateurs) résonne comme un hymne apaisé en hommage aux découvreurs de nouvelles contrées. Le baryton et la soprano entament un touchant duo sous la « protection » d’un chœur consolateur. Un crescendo solaire anime le centre du mouvement. Là encore la fusion entre les voix du chœur et celles des instruments atteint des sommets de beauté formelle et de musicalité.
Et puis la conclusion du mouvement et de l’œuvre prend la forme d’un decrescendo progressif vers le silence des sphères. Ce silence se prolonge indéfiniment dans une émotion palpable. Toute l’assistance participe à cette marche vers un infini de lumière.
L’ovation qui finalement éclate avec enthousiasme s’adresse autant à l’œuvre qu’aux interprètes. Tarmo Peltokoski est acclamé avec la même ardeur par le public et par les interprètes. Il remercie les solistes avec effusion, ainsi que le chœur de l’Orfeón Donostiarra dont le chef, José Antonio Sainz Alfaro, rejoint l’ensemble des acteurs de cette soirée mémorable.
Tout en brandissant la partition en hommage au compositeur, le chef dévoile les couleurs de… ses chaussettes, décorées comme le drapeau britannique ! Décidément, cette soirée restera dans les annales.
Serge Chauzy