Le 24 mai dernier, l’Orchestre national du Capitole recevait deux grandes artistes allemandes : Anja Bihlmaier, la cheffe principale du Residentie Orkest de La Haye et la violoniste Isabelle Faust qui jouait à Toulouse pour la première fois. Un programme musical « printanier » a recueilli les applaudissements nourris d’un public charmé.
Après des études au conservatoire de musique de Fribourg, Anja Bihlmaier a obtenu une bourse pour étudier avec Dennis Russell Davies et Jorge Rotter au Mozarteum de Salzbourg. Elle a obtenu d’autres bourses de la Fondation Brahms et a été admise au Deutsche Dirigentenforum. Outre les nombreux concerts qu’elle a dirigés à la tête de grands orchestres internationaux, elle a accumulé 15 ans d’expérience en occupant des postes importants au Staatsoper Hannover, au Theater Chemnitz et au Staatstheater de Kassel.
La cheffe allemande ouvre ce concert du 25 mai avec une œuvre rare de Lili Boulanger, la jeune sœur disparue en 1918 à l’âge de 25 ans, de la Grande Nadia Boulanger. Elle fut la première femme à remporter le Grand Prix de Rome en 1913. Lili Boulanger a initialement composé pour violon et piano au printemps 1917, cette pièce intitulée D’un matin de printemps. L’œuvre a connu aussi une version pour trio avec piano, et pour flûte et violon. En janvier 1918, Lili Boulanger l’a transcrite pour orchestre. Sous la direction dynamique d’Anja Bihlmaier l’Orchestre national du Capitole trouve immédiatement ses marques dans cette partition aux accents typiques de cette musique française qu’il défend depuis bien longtemps. Fraîcheur, énergie, contrastes expressifs habitent cette œuvre souriante.
La grande violoniste Isabelle Faust est ensuite la soliste d’une autre œuvre rare, et néanmoins signée d’un compositeur célèbre parmi les romantiques allemands, le grand Robert Schumann. Son unique concerto pour violon et orchestre n’a pas connu la même célébrité que son également unique concerto pour piano. Selon une légende tenace, cette partition mal aimée (même de Clara, l’épouse de Robert, n’appréciait pas beaucoup cette œuvre) aurait été perdue puis retrouvée en 1932 grâce à l’intervention prétendue de l’esprit de son compositeur et d’une violoniste « medium »… Cette pièce ne recherche pas d’effets virtuoses particuliers et ne révèle peut-être pas le meilleur de l’inspiration schumannienne, en particulier du fait de quelques répétitions de cellules musicales dans les mouvements extrêmes. Elle permet néanmoins, dès ses premières mesures, l’épanouissement de la lumineuse sonorité d’Isabelle Faust. L’interprète caractérise avec finesse le bref Adagio et enchaîne sur la danse finale avec bonheur. Elle prolonge cette première partie, avec un bis également rare : une pièce du violoniste et compositeur italien établi à Londres Nicola Matteis, disparu en 1714. Souplesse et nuances du jeu de la violoniste font encore merveille.
La seconde partie du concert est consacrée à la Symphonie n° 1 de Johannes Brahms, marquée par l’héritage de Beethoven auquel Brahms vouait un véritable culte. Rappelons que le compositeur, inhibé par cette admiration, a longtemps attendu avant de se lancer dans l’écriture d’une symphonie. Son succès la fit surnommer : « Dixième symphonie de Beethoven » !
Sous l’impulsion de Anja Bihlmaier, l’Allegro du premier mouvement, après l’introduction solennelle, déclenche une véritable tempête. La grande élégie de l’Andante sostenuto est suivie des échanges contrastés du Scherzo en forme de promenade champêtre. Le final évolue comme un psychodrame. Toute l’introduction tend vers cet hymne irrésistible, si semblable au final de la Neuvième symphonie de Beethoven. L’énergie de la direction conduit progressivement à l’ivresse de la coda au travers d’une succession de solos brillamment défendus par les musiciens. Signalons les beautés des solos de hautbois, de flûte, de clarinette, de cor, sans oublier le violon de Jaewon Kim, la supersoliste de la soirée. La cheffe remercie chaleureusement chaque musicien, chaque pupitre auprès desquels elle se rend avec effusion.
L’acclamation qui salue cette exécution est suivie d’une intervention particulière. Celle qui célèbre le départ en retraite de l’altiste Isabelle Mension, l’un des piliers de l’Orchestre. Chaleureusement embrassée par la cheffe invitée, la musicienne reçoit, outre le traditionnel bouquet de fleurs, une sérénade en guise d’au revoir de tout son pupitre. Emotion et remerciements concluent cette soirée particulièrement conviviale.
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 24 mai 2024 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :
- Lili Boulanger : D’un matin de printemps
- Robert Schumann : Concerto pour violon en ré mineur, woo 23
- Johannes Brahms : Symphonie n°1 en ut mineur, op. 68