Concerts

Le voyage romantique de L’Enharmonie

Le dernier concert de la série de trois proposée ce mois-ci par l’orchestre L’Enharmonie rassemblait, le 19 avril dernier à la Halle aux Grains un public conquis, invité par l’association AIDA des entreprises mécènes de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse. Un programme musical était ainsi offert par cette belle formation symphonique fondée en 2011 par deux personnalités aux parcours complémentaires : Serge Krichewsky, musicien professionnel, hautboïste/cor anglais à l’Orchestre national du Capitole, co-fondateur des Clefs de Saint-Pierre, et Matthieu Mambrini, chercheur CNRS au Laboratoire de Physique Théorique de l’Université Paul Sabatier.

Présentation du concert par Francis Grass, Président de l’association AIDA. A ses côtés, Serge Krichewsky – Photo Classictoulouse –

Souvenons-nous que cet orchestre à géométrie variable réunit des amateurs confirmés (amateurs à prendre dans le sens premier de celui qui aime !) et quelques musiciens professionnels motivés de l’Orchestre national du Capitole, chargés de faire profiter ces amateurs passionnés de leur expérience professionnelle. Ce généreux projet de L’Enharmonie possède un triple but : stimuler une pratique amateur de haut niveau auprès de musiciens exerçant une activité principale autre que la musique, favoriser les échanges entre le milieu des amateurs éclairés et les musiciens de l’ONCT, enfin explorer un répertoire élargi à des œuvres injustement négligées. Comme l’indique en début de concert Francis Grass, Président d’AIDA, nombre de ces musiciens amateurs travaillent justement dans des entreprises ou des structures appartenant à l’association.

Serge Krichewsky, qui assure la direction musicale de l’orchestre, présente en outre, avec simplicité et compétence, le contenu du programme proposé ce soir-là. Il s’agit bien là d’un voyage au sein du romantisme allemand, né de l’héritage laissé par des personnalités aussi fortes que Beethoven ou Schubert. Felix Mendelssohn, Robert Schumann et Johannes Brahms représentent les trois étapes de ce voyage.

L’orchestre L’Enharmonie et Serge Krichewsky au salut – Photo Classictoulouse –

L’ouverture de « La belle Mélusine », de Mendelssohn, donne le signal du départ. La précision, la justesse, le sens des nuances de tous les pupitres de la formation séduisent immédiatement. Serge Krichewsky structure parfaitement cette partition lumineuse du jeune compositeur si merveilleusement doué. La fluidité du thème initial, évoquant la personnalité étrange de cette héroïne inspirée d’une légende poitevine, s’oppose musicalement au motif sombre et par instants dramatique du chevalier Raymondin. L’exécution subtile de cette courte partition brosse un portrait significatif de l’art d’un créateur inspiré.

Avec Robert Schumann s’ouvre un épisode plus sombre de cette période du romantisme germanique. Fidèle à sa volonté de révéler au public des œuvres de grande valeur mais pourtant rares au concert, L’Enharmonie choisit l’une des partitions symphoniques de Schumann les moins fréquentées. Ouverture, Scherzo et Finale, pièce composée en 1841 et considérée par Schumann comme sa deuxième symphonie, présente toutes les caractéristiques originales de son style d’écriture. Une fois encore, l’interprétation colle au texte original. Les changements d’humeur, si courant chez Schumann, le rôle moteur du rythme, tout concourt à souligner la vitalité de ce beau triptyque.

Raphaël Oleg, violon, Jean-Marie Trotereau, violoncelle et l’orchestre L’Enharmonie dirigé par Serge Krichewsky dans le double concerto de Brahms – Photo Classictoulouse –

Le somptueux double concerto pour violon, violoncelle et orchestre de Brahms occupe toute la seconde partie de la soirée. Deux grands solistes sont les invités prestigieux de son exécution. Le violoniste Raphaël Oleg, Premier Grand Prix de l’illustre concours international Tchaïkovski à Moscou en 1986, a rapidement connu une grande carrière internationale. Quant à Jean-Marie Trotereau, violoncelle solo de l’Orchestre d’Auvergne, il a obtenu à l’unanimité les Premiers Prix de violoncelle et de musique de chambre du Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Ces deux musiciens accomplis dialoguent avec conviction, ardeur et finesse. Les échanges fusent aussi bien entre eux qu’avec les pupitres d’un orchestre porté par une ferveur communicative. Aux oppositions d’atmosphère de l’Allegro initial, alternativement héroïque et méditatif, succède cette étrange complainte de l’Andante qui semble avoir inspiré Gustav Mahler dans l’un de ses bouleversants Kindertotenlieder. Le Vivace non troppo final initie une sorte de course vers la lumière.

Le succès de cette belle interprétation auprès du public nécessite une série de trois bis. Les dernières pages du final du concerto sont tout d’abord reprises, puis les deux solistes « murmurent » une courte pièce, pizzicato en duo, composée par un Jean Sibelius de dix ans, et intitulée « Gouttes d’eau ». Enfin, l’orchestre se lance avec flamme dans le Scherzo (Furiant) de la sixième symphonie d’Antonin Dvorak. Précision et enthousiasme font ici encore bon ménage.

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