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Le violoncelle baroque à la fête

Gautier Capuçon, prestigieux violoncelliste, associé à l’Orchestre Baroque de Venise, voici une rencontre qui pouvait a priori paraître étrange. Le monde baroque a en effet acquis une certaine « indépendance » vis à vis de la communauté des interprètes-musiciens, redéfini ses codes d’interprétation. Comment un violoncelle « moderne » allait-il s’intégrer au sein d’un ensemble aussi profondément ancré dans le style et l’instrumentarium spécialisé de son répertoire ? Pour se convaincre de la légitimité de la démarche, il suffisait d’être présent, le 13 décembre dernier au troisième concert de la saison des Arts Renaissants et d’écouter cette complicité musicale au plus haut niveau.

On connaît le grand talent du jeune violoncelliste. Gautier Capuçon jouit à juste titre d’une grande réputation de soliste des plus célèbres concertos du répertoire, ainsi que de chambriste d’une musicalité irréprochable. Voici qu’il faut maintenant saluer son épanouissement comme violoncelliste baroque ! Jouant de son instrument sans pique, monté avec des cordes en boyau, en l’absence de ce vibrato constant du jeu romantique, il déploie la rondeur de sa sonorité généreuse et ample avec la musicalité d’un « baroqueux » chevronné. Chapeau l’artiste !

Gautier Capuçon, au violoncelle baroque – Photo Classictoulouse –

Au cours de cette soirée du 13 décembre, dans l’acoustique idéale de l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, il occupe la place de soliste dans pas moins de quatre concertos pour violoncelle(s) et cordes. Une belle performance réalisée avec panache, avec sérieux, mais aussi et surtout avec un bonheur contagieux de jouer en compagnie de musiciens de grand talent. Le Venice Baroque Orchestra est en effet composé d’artistes de premier plan. Dirigé avec bienveillance et fermeté de son clavecin par Andrea Marcon, l’ensemble fait vivre ses interprétations de la manière la plus éblouissante qui soit.

Comme on peut le constater sur les photos de ce concert, les musiciens de l’ensemble ont dû subir les aléas du transport aérien qui les ont privés de leurs bagages et donc de leurs tenues de concert. Andrea Marcon a donc formulé quelques excuses liminaires pour le côté « sportif » de leurs présentations vestimentaires que le public a néanmoins saluées d’une salve d’applaudissements supplémentaires.

Dès le concerto pour deux violoncelles en sol mineur d’Antonio Vivaldi, cette connivence complice entre les deux solistes, Gautier Capuçon et Francesco Galligioni, éclate au grand jour. Les regards, les sourires échangés accompagnent les dialogues virtuoses, les défis lancés. Les deux voix se répondent, se mêlent, s’associent tout en conservant chacune ses propres caractéristiques. Un grand moment de bonheur qui doit aussi beaucoup au tissu orchestral d’une élégance absolue.

Le Venice Baroque Orchestra, dirigé par Andrea Marcon. Soliste Gautier Capuçon, violoncelle – Photo Classictoulouse –

Avec le concerto en la, de Carl Philipp Emanuel Bach, joué en lieu et place du concerto de Porpora initialement prévu, Gautier Capuçon et ses compagnons abordent un répertoire plus tardif, d’un développement extrême. Notamment dans le premier mouvement, d’un héroïsme flamboyant, dans lequel l’inquiétude sous-jacente traduit l’humeur très Sturm und Drang bien en cours à l’époque. Le soliste y réalise la cadence furieusement virtuose qu’il a lui-même conçue bien dans l’esprit de ce répertoire. C’est d’ailleurs une autre cadence, méditative et forte, qui conclut le mouvement lent.

En seconde partie, Gautier Capuçon entonne avec grâce et esprit, le concerto en la majeur de Giuseppe Tartini et conclut la soirée, avec un retour à Vivaldi, sur le final de pure folie de son concerto en la mineur. Une fête irrésistible.

L’orchestre et son claveciniste de chef brillent ici de tous leurs feux. Outre les accompagnements des concertos, Andrea Marcon ouvre la soirée sur la lumineuse Sinfonia en sol majeur, de Vivaldi, dont la poésie de l’Andante précède un très alerte Presto. L’hommage de Francesco Geminiani au thème récurrent de « La Follia » (créé par Arcangelo Corelli) constitue le prétexte du développement d’une série de variations aussi imaginatives que fébriles.

Une reprise du final du double concerto de Vivaldi, réclamée par le public conquis, prolonge encore le plaisir de cette rencontre festive.

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