Le cent cinquantième anniversaire de la naissance de Claude Debussy nourrit de nombreux concerts et ce n’est que justice ! Thierry Huillet, pianiste et compositeur, avait ainsi conçu un éblouissant programme pour sa participation à la saison des Arts Renaissants, le 24 avril dernier, dans le salon rouge du Musée des Augustins.
Son implication musicale dans la création autant que dans l’interprétation confère à Thierry Huillet une sorte de conviction qui emprunte les voies de l’imagination. Il aborde le deuxième livre des Préludes de Debussy avec une science de la couleur, une subtilité du toucher, un sens de l’architecture qui actualisent cette œuvre. Il en dévoile l’incroyable modernité. Le détail de chacune des douze pièces, aussi élaboré soit-il, ne masque jamais la vision d’ensemble qui semble être la sienne, celle d’une sorte de puzzle génial dont la complétude brosse un tableau cohérent et intense. La perfection de chaque élément s’insère dans la grande ligne de l’ensemble.
Le pianiste et compositeur
Thierry Huillet lors de son récital
– Photo Classictoulouse –
La fluidité du toucher, particulièrement à l’aise dans Ondine, irrigue tout le cycle. Comment ne pas admirer la subtilité de Brouillard, celle des accords successifs de Canope, les couleurs délicates de Feuilles mortes, la lumière ineffable de La terrasse des audiences du clair de lune, ces trilles diaphanes de « Les fées sont d’exquises danseuses » ? L’autre face de ce recueil complète admirablement sa poésie complexe. La liberté rythmique de La Puerta del Vino, l’humour souriant de General Lavine – eccentric, l’ironie pseudo-solennelle de Hommage à S. Pickwick Esq. P.P.M.P.C., le motorisme presque « prokofievien » des Tierces alternées aboutissent à l’apothéose finale. Feu d’artifice semble ainsi faire la synthèse effervescente de tout le cycle. L’interprète y déploie non seulement une virtuosité sans faille, mais, encore une fois, il en exalte la nouveauté et la stupéfiante originalité.
Issac Albeniz, avec Asturias (Leyenda), extrait de sa bouillonnante Suite Espagnole, tout imprégné de sa vibration ibérique, ménage une transition colorée vers la partition signée de Thierry Huillet lui-même, Juste l’ombre d’une image. Composée à la demande du pianiste italien Maurizio Baglini, cette œuvre est destinée à être jouée entre les deux livres d’Images de Debussy. Le compositeur-interprète, qui la présente avec simplicité et humour, en dévoile les références à quelques unes des pièces de Claude de France auxquelles elle rend hommage. Brouillard, Poissons d’or, Feux d’artifice, notamment, y pointent un motif ou un rythme. La fluidité debussyste, sa subtilité harmonique imprègnent toute la pièce qui révèle sa richesse sous les doigts de son auteur.
Avec Gaspard de la nuit, ce triptyque suprêmement pianistique d’un Maurice Ravel en état de grâce, Thierry Huillet s’attaque à un véritable défi digital dont il transcende la difficulté technique. L’interprète choisit de lire, avant chacun de ces tableaux musicaux, le poème correspondant d’Aloysius Bertrand qui l’a inspiré. Ondine bénéficie ici d’une vision « en relief ». L’intensité du jeu nous vaut des moments à couper le souffle. Le grand crescendo final atteint un paroxysme éblouissant. L’obsession du glas qui ponctue Le gibet, donne le frisson. Enfin, avec Scarbo, l’hallucination est à son comble. Dramatique et désespéré, cet épisode est interprété ici dans l’incandescence, avec une sorte de fureur glacée.
La soirée s’achève sur un cadeau musical offert par Thierry Huillet au public enthousiaste. Un cadeau sous forme de miniatures : deux des Sept Haïkus composés par le pianiste sur ces brefs poèmes japonais visant à dire l’évanescence des choses, à l’image du premier :
« La nuit s’approfondit/dans l’eau des rivières/la voie lactée ».
Une plongée dans le raffinement asiatique…