La venue de Kotaro Fukuma à l’Orangerie de Rochemontès, ce 30 mars dernier fut un bel événement musical. Alors qu’il est invité dans les plus prestigieuses salles de concert du monde comme le Carnegie Hall et le Lincoln Center à New York, le Wigmore Hall à Londres, la Philharmonie et le Konzerthaus à Berlin, le jeune pianiste japonais sait apprécier les lieux plus intimes, les publics proches, les manifestations conviviales. Rejoint pour une partie du programme par Clara Cernat à l’alto, Kotaro Fukuma a enchanté cette fin d’après-midi dominicale.
Né à Tokyo, Kotaro Fukuma a obtenu de nombreux Prix dans des concours internationaux : Santander, Helsinki, Rio de Janeiro, Tel Aviv et Salt Lake City. En 2003, à 20 ans, il a remporté le 1er Prix et le Prix Chopin au Concours International de Cleveland. Ce fut le commencement d’une carrière de pianiste concertiste qui le mène depuis sur les cinq continents. Très à l’aise dans le grand répertoire, ce jeune et authentique musicien est un passionné de musique d’aujourd’hui. Il a créé en premières nationales ou mondiales des œuvres de Toru Takemitsu, Mutsuo Shishido, Renaud Gagneux, Thierry Escaich, Thierry Huillet, Pascal Zavaro, Einojuhani Rautavaara, Peter Klatzow, Francesco Milita…
Le pianiste japonais Kotaro Fukuma
à Rochemontès © Céline Lamodi
Intelligemment conçu, le programme de son concert du 30 mars fait la part belle à la musique française qu’il pratique en orfèvre, en poète. Quelques thèmes récurrents, comme les oiseaux ou encore l’eau jalonnent son déroulement. Jean-Philippe Rameau et sa pièce champêtre si suggestive, Le Rappel des oiseaux, ouvre cet après-midi printanier. La délicatesse du toucher laisse s’épanouir l’architecture de cette pièce nerveuse et déliée. Sans chercher à imiter le clavecin, le piano de Kotaro Fukuma conserve la légèreté des cordes pincées.
Avec les Six Chants du Rhin, de Georges Bizet, l’interprète aborde un répertoire rarissime d’un charme touchant. Inspirées des six poèmes d’un certain Joseph Méry, ces pièces évoquent par leur forme les mélodies sans paroles de Mendelssohn, tout en arborant une liberté d’écriture toute schumannienne. L’Aurore, Le Départ, Les Rêves, La Bohémienne (Carmen n’est pas très loin !), Les Confidences, et enfin Le Retour illustrent les poèmes originaux lus auparavant par Stéphane Delavoye. Ecartant toute mièvrerie de ces partitions, Kotaro Fukuma en révèle la tendresse, mais aussi la vigueur poétique, à travers la fluidité d’un jeu riche et coloré.
Clara Cernat, alto et Kotaro Fukuma, piano, dans les Cinq Haïku de Thierry Huillet
© Céline Lamodi
Le second compositeur, Thierry Huillet, partage la vie et la carrière de Clara Cernat. Sa musique, d’une grande originalité, si elle s’inspire parfois comme ici de l’Orient lointain, reste d’un profond caractère français. Ses Cinq Haïku pour alto et piano, joués ici appartiennent à toute une série de ces courtes pièces destinées soit au piano seul, soit au violoncelle ou encore à la flûte associés au piano. Les Cinq Haïku pour alto et piano joués ce dimanche ont été créés en 2012 à Radio France qui en avait passé commande. Les courts poèmes japonais qui les inspirent, sorte de concentrés de poésie intime, lus avant chaque pièce par Clara Cernat, donnent naissance à une musique d’une grand finesse expressive. La première évoque une tempête, alors que les fleurs de cerisier, un héron, le tonnerre ou encore l’ombre d’un papillon donnent naissance à un étonnant déploiement de couleurs. L’alto est sollicité dans tous ses registres : sons en harmoniques, pizzicati, brillamment réalisés par l’interprète. Le piano est lui aussi poussé dans ses derniers retranchements. Kotaro Fukuma s’investit totalement dans ce traitement hors norme. Jusqu’à plonger ses mains dans les entrailles de l’instrument pour en tirer des sonorités évoquant le shamisen, cette sorte de luth japonais, parfaitement en situation ici.
L’orangerie de Rochemontès lors du concert de Kotaro Fukuma © Céline Lamodi
La seconde partie du concert associe Debussy et Ravel que sépare une pièce brillante d’Albéniz. On connait l’affinité particulière de Kotaro Fukuma avec Debussy. Trois des Images du 1er livre confirment le lien du pianiste avec cette musique mouvante et fluide. Reflets dans l’eau, Hommage à Rameau et Mouvement exploitent toutes les ressources d’un toucher d’une somptueuse richesse. Le pianiste associe subtilement la légèreté du jeu et la solidité de la structure musicale. L’évanescence ne gomme en rien la fermeté de la forme. Une flamboyante exécution de Malaga, extrait du grand cycle Iberia d’Isaac Albéniz conduit aux deux extraits des Miroirs de Maurice Ravel. Oiseaux tristes, émotion contenue, profonde confidence, est suivi de l’éblouissant feu d’artifice d’Alborada del gracioso, tout éclaboussé de lumière.
Une ovation debout salue cette prestation magique. Kotaro Fukuma revient alors sur scène avec sa transcription personnelle de la célèbre mélodie, pleine d’un humour caractéristique, d’Erik Satie, Je te veux. A la manière d’une paraphrase lisztienne, l’interprète prolonge la partition originale d’une série de variations aussi brillantes que musicales. Une belle conclusion à cette fin d’après-midi de printemps voilé…