L’ensemble Matheus, le chœur de chambre les éléments, un beau quatuor de solistes vocaux, tous réunis sous la bouillante baguette de Jean-Christophe Spinosi, voici les ingrédients d’une exécution originale de l’oratorio fétiche de la perfide Albion signé du plus britannique des compositeurs allemands. Le Messie (ou plutôt Messiah, pour rester fidèle à son origine) de Georg Friedrich (ou George Frideric) Haendel (ou Händel) a connu toutes sortes d’aménagements. De l’effectif vocal et instrumental réduit des origines au gigantisme mis en œuvre à l’époque postromantique, en passant par la réorchestration et réécriture partielle due à… Mozart lui-même (excusez du peu !) tout a été tenté.
Jean-Christophe Spinosi, avec son ensemble instrumental, choisit de s’adjoindre les voix du chœur devenu, sous la direction de Joël Suhubiette, l’une des phalanges vocales les plus recherchées, pour retrouver un Haendel proche de l’original. Avec ce chef plein d’énergie et d’idées, les surprises ne manquent souvent pas. Ici la surprise est qu’il n’y en a pas vraiment ! Spinosi dirige avec finesse, intériorité, retenue, équilibre parfaitement les voix et les instruments, se fait presque discret autour des excellents solistes réunis ici, joue la carte de la piété. C’est surtout le cas dans la première partie, « La Prophétie du Seigneur », le drame affleurant dans le deuxième volet « Le sacrifice du Christ et sa condamnation », la ferveur prenant le pas dans « Le Christ triomphant ».
L’ensemble Matheus, le chœur de chambre les éléments et les solistes lors du salut final.
Au premier plan, de gauche à droite : la basse Christian Senn, le chef de choeur Joël Suhubiette, le ténor Topi Lehtipuu, Jean-Christophe Spinosi, le contre-ténor David DQ Lee, la soprano Adriana Kučerová – Photo Classictoulouse –
C’est au ténor finlandais Topi Lehtipuu d’ouvrir le dialogue avec l’assistance. Avec sa première aria « Confort ye, my people… », on retrouve avec bonheur la finesse de son émission, la grâce angélique de son timbre et de sa diction. Celui qui fut un étonnant Ottavio du Don Giovanni mozartien, sur la scène du Capitole, aborde cet hommage au Sauveur avec une tendresse touchante, une sensibilité extrême qui l’accompagneront tout au long de la soirée. La basse chilienne Christian Senn allie les qualités nécessaires à sa partie : un timbre chaleureux, une agilité virtuose, une authentique musicalité. La jeune soprano slovaque Adriana Kučerová, au-delà de son physique de star, plie avec aisance la fraîcheur de son timbre aux vocalises et au registre musical et expressif de ses interventions. Enfin, on découvre ici le talent plus que prometteur du contre-ténor canadien David DQ Lee. Un timbre riche et chaud, une vocalisation sans efforts, un vibrato peut-être un peu envahissant, mais une sensibilité musicale touchante. Son aria « He was despised and rejected… », le sommet d’émotion de tout l’oratorio, lui donne l’occasion de déployer un sens dramatique qui le désigne pour bien des rôles lyriques du répertoire baroque.
Le trompettiste Serge Tizac et la basse Christian Senn – Photo Classictoulouse –
Il faut également saluer la belle performance d’un cinquième soliste, instrumental cette fois, le trompettiste Serge Tizac qui, outre sa participation aux grands moments de l’oratorio, s’acquitte avec panache de sa redoutable partie de trompette baroque dans l’aria de basse « The trumpet shall sound… » Douceur du timbre, finesse du phrasé, éclat musical, sûreté de l’émission, tout y est !
En accord parfait avec l’ensemble instrumental, cordes et bois mêlés, le chœur de chambre les éléments accomplit une fois de plus une bien belle performance, à la fois vocale, dramatique, musicale. La justesse, la cohésion, la précision font désormais partie des fondamentaux de ce bel ensemble.
Et puis, comment ne pas évoquer encore cet Hallelujah ! qui fait la gloire de cet oratorio. Jean-Christophe Spinosi l’aborde avec une étonnante et authentique musicalité, sans céder à un éclat factice. Le redonnant en bis, il en explique avec force détails pédagogiques (et comiques, on ne se refait pas…) le déroulement, justifiant ainsi son interprétation hors norme de cet incontournable « tube » classique.
Le succès est, sans surprise, au rendez-vous !