Concerts

Le marathon de la nymphe

Plus de trois heures de musique, en dépit de quelques coupures, c’était le défi relevé par Jean-Christophe Spinosi, vivaldien boulimique ! A la tête de son très bel ensemble Matheus, il entourait une distribution vocale de grande classe pour une exécution, en version de concert, de l’opéra « La Fida Ninfa » du prêtre roux de Venise. C’était le 7 mai dernier à la Halle-aux-Grains de Toulouse.

L’ensemble Matheus, autour de Jean-Christophe Spinosi

Le jeune chef et ses musiciens semblent s’être donné comme tâche de jouer et d’enregistrer (chez l’éditeur Naïve) les opéras trop longtemps négligés de Vivaldi. Comme le compositeur lui-même prétendait en avoir écrit 94 (mais « seulement » une cinquantaine sont aujourd’hui identifiés), l’opération devrait durer.

Lors du concert toulousain, quelques spectateurs fatigués ont délibérément abandonné le navire avant son arrivée au port. Ils ont eu tort. La qualité de l’interprétation restituait à cette œuvre à découvrir toutes ses couleurs d’origine. Oublions l’intérêt tout relatif de l’inextricable intrigue dont la qualité essentielle réside dans son aptitude à susciter des situations expressives que la musique transcende aisément.

La succession de récitatifs et d’airs repose sur la sensibilité, la virtuosité, et bien sûr les pures qualités vocales d’un bataillon de chanteurs conscients de l’enjeu et des spécificités d’une pratique baroque de l’art lyrique, mais aussi suffisamment résistants dans la durée… On ne peut que féliciter toute la distribution qui tire l’œuvre dans la même direction. Chaque interprète qui voit se succéder airs de bravoure virtuose et complaintes éthérées, négocie les reprises « da capo » avec imagination, ornementant de la meilleure manière qui soit.

Ainsi, le Vénitien Lorenzo Regazzo, basse colorature d’une grande habileté vocale, est un Oralto (puis Eole) aussi efficace musicalement que comme personnage bouffe. Le Narete du ténor espagnol José-Manuel Zapata déploie un timbre d’une ampleur et d’une dynamique inhabituelles, alors que Max Emanuel Cencic, déjà célèbre à Toulouse pour ses interventions dans Le Couronnement de Poppée de Monteverdi, récemment monté au théâtre du Capitole, incarne un Osmino sensible et virtuose. Les dames ne sont pas en reste. La mezzo-soprano Barbara Di Castri (Elpina puis Giunone) impressionne par l’ampleur et la chaleur de sa voix puissante. Le personnage de la douce Licori convient à la perfection à Sandrine Piau au chant aussi raffiné qu’expressif. Enfin, un grand bravo doit être adressé à Veronica Cangemi pour son incarnation du rôle redoutable entre tous de Morasto, jadis confié à un castrat : éblouissante dans la virtuosité vocale comme dans l’émotion.

Jean-Christophe Spinosi anime son ensemble instrumental avec l’énergie qu’on lui connaît. Finesse des phrasés, rebondissements des rythmes avivent les couleurs de l’orchestration, même si l’accumulation des nuances bride parfois le naturel de la ligne mélodique. Un grand bravo à chaque musicien, en particulier au continuo réuni autour de l’excellente claveciniste Yoko Nakamura et à la trompette épisodique mais impeccable du Toulousain Serge Tizac.

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