Concerts

Le feu à la Halle !

On ne pouvait rêver plus éblouissant début de saison symphonique pour l’Orchestre National du Capitole. Galvanisés par Tugan Sokhiev, leur directeur musical, les musiciens de la formation toulousaine viennent d’enflammer le public d’une Halle aux Grains bondée et enthousiaste, lors de leur concert du 17 septembre dernier. En partenariat avec le festival Piano aux Jacobins, Toulouse recevait le très brillant pianiste russe Boris Berezovsky dans un programme de musique, également russe, associant Stravinski et Khatchaturian.
L’événement avait en outre attiré les media. Alors que Radio Classique enregistrait le concert en direct, la chaîne télévisuelle Mezzo en assurait la captation vidéo pour une diffusion ultérieure. Pour le spectateur, la première surprise est d’ordre visuel. Tugan Sokhiev a choisi, pour ce programme, de redéployer les instruments de son orchestre selon la disposition russe, avec notamment les contrebasses à gauche et le pupitre de cors à l’extrême droite. L’œil et l’oreille y gagnent une impression de relief sonore accru.

La suite de 1919 du ballet L’Oiseau de Feu, qui ouvre la soirée, possède toute la beauté orchestrale dont Stravinski a enrichi le siècle. La combinaison des timbres, les couleurs instrumentales, l’équilibre des pupitres de l’orchestre toulousain y créent dès les premières mesures cette magie sonore dont Stravinski a hérité de Rimski-Korsakov. La Danse de l’Oiseau de Feu, mystérieuse et virevoltante, scintille comme pour évoquer des battements d’ailes. La belle mélodie orientalisante de la Ronde des Princesses révèle le talent d’un hautbois solo de grande classe. L’explosion stupéfiante de la Danse infernale aux rutilances bouillonnantes, puis l’atmosphère lancinante de la Berceuse conduisent enfin à cette merveilleuse évocation d’une aube naissante qui ouvre le final. Quel somptueux solo de cor signé Jacques Deleplanque ! Emergeant d’un lointain silence il amorce un crescendo implacable et pourtant si poétique qui donne le frisson. Le final éclate comme pour un radieux lever de soleil.

Boris Berezovsky et l’Orchestre National du Capitole dirigé par Tugan Sokhiev lors de l’exécution du concerto de Khatchaturian
– Photo Classictoulouse –

Comme ses partitions sœurs pour violon et pour violoncelle, le concerto pour piano et orchestre d’Aram Khatchaturian représente un hommage du compositeur arménien aux membres du trio Oïstrakh, Knushevistzky, Oborin. Solidement charpenté, ce concerto de jeunesse, qui n’épargne pas la virtuosité de son soliste, témoigne des belles qualités d’orchestrateur de son auteur. La richesse colorée de la partition, la tonalité générale et généreuse de la thématique ne sont pas sans évoquer l’une des facettes du talent de Chostakovitch. L’invention rythmique constitue la qualité première de cette œuvre forte et colorée. La partie soliste adopte souvent le motorisme, l’aspect percussif du piano que Boris Berezovsky défend avec une aisance, une énergie, un panache étourdissants. Il en exalte avec autant de bonheur la force et la sensualité. Ainsi, dans l’Allegro initial, à la première cadence, d’une infinie douceur, jouée avec sensibilité et finesse, succède la seconde, échevelée, diabolique, pour laquelle l’interprète trouve les accents les plus « féroces ». Deux pièces, également de Khatchaturian, sont offertes en bis par le pianiste au public conquis : une Berceuse et une Toccata, encore une fois aux atmosphères contrastées.

L’imposant dispositif orchestral du Sacre du Printemps – Photo Classictoulouse

Le Sacre du Printemps, qui occupe toute la seconde partie de la soirée, reste en 2011 la partition la plus révolutionnaire de tout le XXème siècle. Cette « musique sauvage mais avec tout le confort moderne », telle que la qualifie Debussy à l’issue de sa création scandaleuse, ne cessera jamais de fasciner. Ce soir-là, Tugan Sokhiev et ses musiciens la portent à incandescence. La précision diabolique dont l’orchestre se révèle capable, s’accompagne d’une envoutante souplesse de la direction. Le chef russe ménage ces infimes respirations qui font vivre la musique. Que ce soit dans l’inquiétude des incantations mystérieuses qui ouvrent chacune des deux parties, ou dans les paroxysmes telluriques qui les concluent, la tension ne se relâche pas un seul instant. Le déchaînement des forces primitives est à l’œuvre. A cet égard, la conclusion de la Danse Sacrale coupe le souffle de l’auditeur. La contribution de chaque musicien doit être louée. Du mythique solo introductif de basson, aux interventions des flûtes, des clarinettes et de l’ensemble des cuivres, des cordes parfois traitées comme des percussions, au riche pupitre des percussions à proprement parler, particulièrement sollicité et virtuose, grâce leur soit rendue ! Le public ne s’y est pas trompé qui salue par une ovation unanime une telle prestation.

Les absents pourront combler ce manque, soit avec la diffusion du concert sur la chaîne Mezzo, soit encore avec l’enregistrement discographique des deux œuvres de Stravinski, inscrites au programme de cette soirée mémorable, que l’orchestre et son chef viennent de graver pour la firme Naïve.

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