Anna Caterina Antonacci parcourt le monde, de salle de concert en scène d’opéra, où son talent s’exerce avec la même intensité. Son étape toulousaine, dans le cadre de la saison des Grands Interprètes, vient opportunément réchauffer une atmosphère figée par les frimas, avec un programme d’une grande originalité et d’une subtilité rare.
Accompagnée avec finesse par le pianiste américain Donald Sulzen, la très belle cantatrice italienne rend hommage à un répertoire que la plupart des grands chanteurs ignorent superbement, la mélodie italienne. Contrairement au lied allemand ou à la mélodie française, ce vaste corpus, contemporain des grands ouvrages véristes, semble fleurir en réaction à la violence et au réalisme qui occupent les scènes lyriques. Le retour vers la poésie des auteurs anciens comme Boccaccio ou Plutarque renoue avec le passé glorieux de la Renaissance, celle des Monteverdi, des Gesualdo, des Cesti…
Et c’est tout d’abord avec ces précurseurs, sources vivantes du chant italien, que la cantatrice ouvre son récital. Le Lamento della ninfa, extrait du livre 8 des « Madrigaux guerriers et amoureux » de 1638, est composé pour quatre voix sur un poème d’Ottavio Rinuccini. Anna Caterina Antonacci en extrait le cœur, dévolu à la seule plainte de la nymphe abandonnée, amputant ainsi le madrigal de son introduction, de sa conclusion et des commentaires affligés des compagnons de l’héroïne. Dommage, mais il est vrai inévitable ! Datant de la même période, le seul air d’opéra de la soirée « Intorno all’idol mio », extrait de L’Orontea, est signé Marcantonio Cesti. Il représente une transition parfaite avec le répertoire majeur du programme. En effet cette « aria d’amore » est précisément évoquée avec nostalgie dans la première des mélodies romantiques qui suit, « Sopra un’aria antica » d’Ottorino Respighi. Comment ne pas penser à la comtesse de La Dame de Pique de Tchaïkovski qui rappelle ses souvenirs de jeunesse sur un air de Richard Cœur de Lion de Grétry ?
Anna Caterina Antonacci et Donald Sulzen lors du concert toulousain
– Photo Classictoulouse –
La voix colorée, chaude et expressive de la cantatrice, son art du beau chant, son extraordinaire diction qui rend lisible chaque mot, chaque parole, son charme irrésistible rendent à cette succession de mélodies son intimité et sa chaleur. L’alternance étudiée des atmosphères donne vie à ce parcours poétique. Le public conquis reçoit cet hommage comme une série de confidences entre amis. C’est notamment le cas des Tre canzoni su testi di Boccaccio, de Respighi, ou de l’essentiel des Quattro canzoni d’Amaranta, du plus adulé des mélodistes de l’époque, Francesco Paolo Tosti. Néanmoins, dans ce même recueil, l’ardeur impressionnante de « L’alba separa dalla luce l’ombra » donne le frisson. Francesco Cilea, l’immortel auteur d’Adrienne Lecouvreur, avec un étonnant traitement debussyste du piano, Alfredo Catalini et Pietro Mascagni, trois des plus célèbres compositeurs véristes, apportent leur contribution à ce répertoire intimiste. En particulier, la magnifique et vibrante interprétation de Serenata, de Mascagni, émeut profondément. Le charme, encore et toujours, nourrit « Amorosi miei giorni » du franco-italien Stefano Donaudy. Anna Caterina Antonacci utilise avec intelligence et sensibilité son art consommé de la déclamation qui témoigne d’une technique vocale sans ostentation mise au service de l’expression. La parfaite projection de la voix, si habilement, si musicalement soutenue par le piano de Donald Sulzen, sa dynamique sans limite, animent de l’intérieur ses interprétations. L’impressionnant diminuendo qui conclut Levommi il mio pensier, d’Ildebrando Pizzetti en dit long sur le contrôle d’un souffle inépuisable.
La présence de notre tendre Reynaldo Hahn dans ce panorama peu paraître étrange. Il est pourtant l’auteur des Cinque canzoni in dialetto venetiano, déclamées ici avec un esprit, une poésie, un humour éblouissants. Le legato infini de La barcheta, la comédie débridée de Che pecà ! ne peuvent masquer le caractère nettement français de la musique qui les illustre.
Au terme du voyage, le public enthousiaste obtient de la part de la cantatrice et de son brillant accompagnateur pas moins de trois bis qui transcendent toutes les barrières. Au célèbre Marechiara de Tosti, succède le Zapateado fameux de la zarzuela La Tempranica de Gerónimo Giménez. La soirée s’achève sur le très glamour Moon river d’Henri Mancini…