Invitée dans l’urgence à remplacer Tugan Sokhiev, contraint pour des raisons personnelles d’annuler tous ses concerts pour le mois de mai, la jeune chef d’orchestre mexicaine Alondra de la Parra vient de faire ses débuts à la tête de l’Orchestre national du Capitole. Lors de ce concert d’abonnement du 7 mai dernier, elle a repris une part importante du programme qui était prévu tout en lui apportant sa touche personnelle, liée à ses origines latino-américaines. Un beau succès public l’a adoubée dans une fonction qui, reconnaissons-le, n’est toujours pas très ouverte à la moitié de l’humanité !
Ce succès toulousain suit celui qu’elle a obtenu à la tête de l’Orchestre de Paris le mois dernier. Sa venue précède également sa participation à la tournée en Chine que l’orchestre avait prévu d’effectuer avec Tugan Sokhiev. Alondra de la Parra fera ainsi, à cette occasion, d’autres débuts à Beijing, Shanghai, Wuhan et Tianjin.
Alondra de la Parra à la tête de l’Orchestre national du Capitole – Photo Classictoulouse –
Qualifiée par Plácido Domingo de « Chef d’orchestre extraordinaire », Alondra de la Parra, qui vit à New York, est la première femme mexicaine à y avoir dirigé. Elle a récemment fait ses débuts japonais au Suntory Hall de Tokyo avec l’Orchestre symphonique des virtuoses du Japon et à la Philharmonie de Munich avec le Bach Collegium Musicum. Son engagement passionné dans la fonction qu’elle occupe guide ses choix et son énergie à la tête des orchestres qu’elle dirige. Une énergie qu’une femme, jeune et belle comme elle, se doit de déployer avec encore plus de détermination qu’un homme. Sa légitimité dans une fonction encore essentiellement masculine est sans aucun doute une conquête de tous les instants.
Alondra de la Parra s’impose donc avec un charme qui s’ajoute à sa compétence sans s’y substituer. Dès les premières notes du « Prélude à l’après-midi d’un faune » de Claude Debussy, la souplesse de sa direction, celle de sa battue expressive, mais précise et élégante, la caractérise. Elle aborde cette pièce mythique avec une lenteur sensuelle et tendre. Sandrine Tilly murmure son introduction à la flûte comme émergeant du silence. L’orchestre sonne avec l’opulence généreuse qu’on lui connaît. La forme en arche crescendo-decrescendo ne se départit pas d’une latinité langoureuse bien en situation.
L’autre grande partition de Debussy inscrite au programme, Iberia, la deuxième des Images pour orchestre, est d’une tout autre complexité. Ses trois volets réclament un équilibre des couleurs, une palette rythmique particulièrement diverse. C’est dans les touffeurs des Parfums de la nuit que se déploie le mieux la magie évocatrice.
Le monde de Ravel, que l’on associe souvent, à tort, à celui de Debussy, réclame une autre clarté, un classicisme assumé qu’Alondra de la Parra ressent à l’évidence. Là aussi les tempi sont retenus, mais le mystère plane avec subtilité. Les couleurs, comme échappées d’une série d’aquarelles, évoquent un monde d’illusion, d’élégance poétique. L’exotisme de Laideronnette, impératrice des pagodes précède ce splendide final, Le jardin féérique, dont l’émotion évocatrice procède d’une progression dynamique admirablement maîtrisée.
Alondra de la Parra à l’issue du concert du 7 mai 2013 – Classictoulouse –
Alondra de la Parra dirige en outre la Sinfonía India, deuxième symphonie du compositeur mexicain Carlos Chávez qui joua un rôle de tout premier plan dans la musique de son pays au XXème siècle. Composée en 1935-1936, ses thèmes successifs reprennent les mélodies des Indiens Huichol de l’Etat de Nayarit et des Indiens Yaquis de l’Etat de Sonora. Cette découverte fracassante, explosive, qui met en œuvre une panoplie impressionnante de percussions « indiennes », sollicite toutes les ressources d’un orchestre qui semble n’avoir aucune limite de dynamique et de couleurs. Alondra de la Parra, parfaitement à l’aise dans ce répertoire qui semble couler dans ses veines, obtient des musiciens une parfaite adéquation avec cette œuvre cyclique, riche de rythmes élaborés, hommage à un patrimoine insoupçonné chez nous. Une ovation aussi explosive que la musique accueille d’ailleurs cette pièce éblouissante.
Le concert se conclut (provisoirement) sur une exécution somptueuse du célébrissime Boléro de Ravel. Cette partition iconoclaste est conçue et jouée ici comme un immense crescendo, irrésistible, implacable, sans modification aucune du rythme qui reste droit et immuable, scandé par une caisse claire cruelle et toujours perceptible (bravo à Emilien Prodhomme !). Les splendides solistes de l’orchestre s’exposent l’un après l’autre avec une science et une qualité instrumentale hors pair. On retient sa respiration jusqu’à ce moment ineffable de l’unique modulation de la partition qui précède l’effondrement final de cette obsession musicale. Le succès est ici tel que la belle Alondra et l’orchestre offrent au public le cadeau d’une autre luxuriante partition mexicaine, le Danzón n° 2 d’Arturo Márquez (né le 20 décembre 1950 à Álamos, Sonora). Nouvelle explosion de joie…