La tragédie lyrique minimaliste de Francis Poulenc possède une force expressive liée à son extrême concentration. Dans la version la plus courante, la voix du personnage unique se détache d’un orchestre d’une grande intensité expressive. Mais il existe une version pour voix et piano moins souvent donnée. C’est à partir de cette version que l’organiste Yoan Tardivel nous propose une nouvelle présentation de l’œuvre dans laquelle l’orgue remplace l’orchestre.
Le 11 octobre, le festival Toulouse les Orgues accueillait, au temple du Salin, cette version nouvelle de La Voix humaine composée en 1958 par Francis Poulenc sur un texte écrit par Jean Cocteau en 1930. Un drame de l’amour bafoué dans un lieu de célébration sacrée, voici qui peut surprendre. Néanmoins l’adéquation fonctionne. Le festival et son directeur Yves Rechsteiner ont proposé à la soprano belge, bien connue et appréciée à Toulouse, Anne-Catherine Gillet d’incarner ce rôle unique dont le seul nom est « Elle ». Rappelons que cette belle cantatrice vient de remporter un vif succès sur la scène de l’Opéra national du Capitole dans le rôle de Leïla des Pêcheurs de Perles de Georges Bizet.
Lors de cette soirée du 11 octobre, Yoann Tardivel, professeur au CRR de Toulouse, est au grand orgue du temple, construit en 2004 par Jean Daldosso, avec réutilisation du buffet de Jean-Baptiste Puget de 1920. Le cor solo de l’Orchestre national du Capitole, Thibault Hocquet, joue en guise de prélude à l’ouvrage lyrique une version pour cor et orgue de l’Elégie pour cor et piano de Francis Poulenc. Cette partition grave et pleine d’angoisse a été composée en 1958 à la mort du corniste Dennis Brain, un fidèle du compositeur, disparu dans un accident de voiture durant l’été 1957. Cette pièce, admirablement jouée, constitue une introduction parfaitement adaptée au drame qui suit.
La représentation de La Voix humaine est ici visuellement illustrée par la metteuse en scène suisse Katharina Stadler. Un praticable est donc installé dans la partie du chœur du temple du Salin. Quelques éléments de décor situent l’action dans la chambre du drame : un lit, un porte-manteau, quelques vêtements…
Anne-Catherine Gillet incarne la femme bafouée avec une profondeur et une intensité impressionnantes. De l’illusion initiale de la « normalité » à l’aveu des conséquences de la rupture et à la conclusion poignante du suicide, l’évolution du personnage est aussi perceptible dans le jeu de l’actrice que dans le chant de la musicienne. Quelques éléments de la mise en scène illustrent cette course à l’abîme, aussi intérieure que tragique, comme ce fil de laine rouge qui construit peu à peu un piège silencieux.
Vocalement, Anne-Catherine Gillet réalise là une véritable performance. Du murmure au hurlement de douleur, la beauté de son timbre n’est jamais affectée. La projection, le souffle emplissent la nef. En outre, la cantatrice s’attache à assurer au mieux la diction du texte – même si parfois l’acoustique réverbérée du temple brouille un peu l’intelligibilité des paroles pour les spectateurs éloignés de la scène… Néanmoins, la fusion entre la voix et l’orgue reste parfaitement équilibrée.
La chanteuse-actrice maintient la tension dramatique jusqu’au paroxysme du dernier épisode rythmé par les mots « je t’aime », paroles répétées jusqu’au silence alors qu’elle s’éloigne peu à peu des lieux du drame.
Une belle ovation accueille cette représentation particulièrement originale. Rappelons que cette 28ème édition de Toulouse les Orgues s’achève le 15 octobre sur le concert de clôture donné à 17 h à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines. L’organiste Shin-Young Lee sera en compagnie de l’Orchestre national du Capitole placé sous la direction de Sonia Ben-Santamaria.
Serge Chauzy