Le dernier concert de la 25ème saison des Clefs de Saint-Pierre se concluait, le 28 avril dernier, sous les beautés picturales de la Chapelle toulousaine des Carmélites. Il s’agissait de l’un de ces événements « hors les murs » qui réunissent, dans des lieux divers propices à la musique de chambre, quelques-uns des membres de l’Orchestre national du Capitole. L’Europe Centrale motivait une fois de plus les accents colorés d’un programme original défendu avec ardeur par un trio de musiciens complices.
Les trois artisans de cette dernière rencontre de la saison des Clefs possèdent des qualités spécifiques qui se complètent harmonieusement. Au jeu acéré et dynamique du violon de Laura Jaillet répond la profonde et chaleureuse sonorité du violoncelle d’Aurore Dassesse. L’agilité volubile du piano de Jean-Sébastien Borsarello mêle sa voix à celle des cordes avec un sens aigu de l’architecture de chaque partition. Comme s’il s’agissait d’un trio d’acteurs, les échanges fusent avec esprit et dans une cohésion et un équilibre sonore et expressif parfaitement maîtrisés. Signalons en outre que le programme musical est présenté avec talent et esprit par Jean-Sébastien Borsarello qui ajoute cette fonction à celle de pianiste et de timbalier solo de l’Orchestre national du Capitole.

La courte pièce intitulée Sonatensatz (morceau de sonate) en sol majeur D. 28, du jeune Franz Schubert de quinze ans, ouvre le concert. Les trois interprètes en soulignent l’aspect de discussion alternativement tendre et énergique.
Plus consistant apparaît le Trio avec piano n° 39 en sol majeur Hob. XV. 25, sous-titré « Gipsy » (Tsigane), de Joseph Haydn. Composé en 1795 à l’intention de Rebecca Schroeter, pianiste amateur et amie du compositeur, ce trio adopte la structure en trois mouvements dont les interprètes soulignent les spécificités expressives contrastées. Le thème et variations de l’Andante initial s’écoute comme un chant plein de fraîcheur. A la touchante rêverie du Poco adagio.Cantabile succède le final qui a donné son surnom au trio : Rondo all’Ongarese : Presto. Animé d’un bouillonnement joyeux et populaire, ce mouvement rebondissant trouve ici son parfait accomplissement sous les doigts des trois musiciens.
Présenté judicieusement comme « plat de résistance » de la rencontre, le Trio pour piano et cordes n° 4 en mi mineur « Dumky », opus 90 B. 166 d’Antonin Dvořák conclut le concert. Composé entre novembre 1890 et février 1891, il a été créé le 11 avril 1891 à Prague avec le compositeur au piano.
Rappelons que « dumky », le pluriel de « dumka », fait référence, à l’origine, aux complaintes des personnages captifs. Au XIXe siècle, ce terme qualifie des pièces musicales sombres et introspectives parsemées de mouvements légers et heureux. L’écoute des six courts épisodes musicaux qui composent ce trio confirme cette alternance entre mélancolie et exubérance qui se manifeste non seulement d’un épisode à l’autre, mais parfois même au sein d’un même mouvement. Les musiciens s’impliquent avec ferveur dans ces contrastes expressifs qui confèrent une vitalité réjouissante au texte musical. Cohésion rythmique et équilibre sonore caractérisent toujours le jeu collectif des interprètes.

L’accueil chaleureux du public obtient une reprise du final de ce trio de Dvořák, prolongeant ainsi l’esprit « Mitteleuropa » de la soirée. On attend maintenant l’annonce du programme de la saison prochaine de ces Clefs de Saint-Pierre toujours aussi imaginatives.
Serge Chauzy
Programme du concert
Franz Schubert : Sonatensatz D. 28 pour trio avec piano – Allegro
Joseph Haydn : Trio avec piano n° 39 en sol majeur HobvXV/25 « Gipsy »
Andante
Poco adagio. Cantabile
Rondo all’Ongarese: Presto
Antonín Dvořák : Trio avec piano n° 4 opus 90 B166 en mi mineur « Dumky »
Dumka I Lento maestoso (Allegro quasi doppio movimiendo — en mi mineur, puis majeur)
Dumka II Poco adagio (Vivace non troppo/Vivace — en ut dièse mineur)
Dumka III Andante (Vivace non troppo/Allegretto — en la majeur)
Dumka IV Andante moderato (Allegro scherzando, Quasi tempo di marci — en ré mineur, puis majeur)
Dumka V Allegro (en mi bémol majeur)
Dumka VI Lento maestoso (en ut mineur, puis majeur)