Le partenariat des Grands Interprètes et du Théâtre Garonne invitait à Toulouse un spectacle étonnant, original et sensible, intitulé « Il Ritorno d’Ulisse », né voici déjà dix ans autour du chef d’œuvre de Monteverdi. Deux représentations étaient ainsi offertes au public toulousain, les 17 et 18 décembre à la Halle-aux-Grains.
Les chanteurs, les marionnettes et les musiciens de ce « Ritorno d’Ulisse » à la
Halle-aux-Grains de Toulouse
Les auteurs de ce projet ont adapté l’ouvrage original dans l’esprit d’un spectacle itinérant destiné au plus large public. L’adaptation consiste à recentrer l’ouvrage sur l’essentiel du drame, et donc à le raccourcir considérablement, et à élaborer un dispositif scénique simple intégrant les musiciens et les personnages représentés par des marionnettes manipulées avec l’aide des chanteurs eux-mêmes.
La partition de Monteverdi a ainsi été réduite pour un ensemble de quatre violes, guitare, théorbe et harpe, du « Ricercar Consort », par le directeur de ce bel ensemble, le gambiste belge Philippe Pierlot. En outre, comme cela a toujours été l’usage, chaque chanteur assure plusieurs rôles. La mise en scène est assurée par le dramaturge et décorateur sud-africain William Kentridge (qui est également l’auteur des projections particulièrement présentes) et c’est la « Handspring Puppet Company » qui a réalisé les marionnettes.
La conception de base du spectacle déconcerte un peu au tout début par sa transposition « médicale » du drame : Ulisse est couché sur un lit d’hôpital et une succession d’images de chirurgie, de radiographie, ou de perfusion illustrent les commentaires initiaux du drame sur la fragilité humaine. Néanmoins, l’efficacité dramatique de la mise en scène s’insinue rapidement dans les esprits et les cœurs, créant l’émotion la plus profonde. Chaque chanteur conserve avec sa marionnette un contact visuel qui établit ainsi un lien presque charnel. Lorsque la conclusion, pourtant heureuse, réunit Ulisse et Penelope, la gorge se serre à la mort du « double » d’Ulisse sur son lit d’hôpital…
Il faut reconnaître aussi que la partition de Monteverdi constitue le moteur essentiel de l’émotion. Le suprême alliage des mots et de la musique, ce fabuleux « recitar cantando », trouve ici des interprètes inspirés. L’ensemble instrumental soigne le raffinement des phrasés, tisse un commentaire à la fois léger et expressif, construit sur l’harmonieuse fusion des timbres des violes avec ceux des cordes pincées (théorbe, guitare et harpe), une fusion pour la beauté de laquelle il faut rendre grâce à Philippe Pierlot, le responsable de cette belle adaptation de la partition originale.
Tous les chanteurs déploient leurs qualités vocales et expressives avec une profonde conviction. Julian Podger est un Ulisse concerné, au timbre plus clair qu’à l’ordinaire. Les deux ténors Jean-François Novelli et Valerio Contaldo investissent la beauté et l’agilité de leur voix dans les personnages qu’ils défendent, alors que la basse Stephen MacLeod impressionne par la profondeur de son timbre et la grandeur de ses interventions. Si Anna Zander est tout aussi convaincante dans Fortuna que dans Melanto ou Anfinomo, Adriana Fernandez domine de sa voix fraîche et souple les rôles d’Amore et Minerva. Enfin, Guillemette Laurens place la chaleur de son timbre, la conviction de sa déclamation, entre drame et nostalgie, au service d’une bouleversante Penelope. Du grand art !
L’interruption inopinée qu’a connue la représentation du 17 décembre (un dysfonctionnement électrique qui a nécessité l’évacuation temporaire de la Halle-aux-Grains) n’a fort heureusement pas vraiment perturbé le déroulement de ce beau spectacle dont on comprend la longévité et le succès mérité qu’il remporte.