C’est sous ce titre particulièrement fort que l’écrivain Marek Halter, invité exceptionnel du concert de l’Orchestre du Capitole du 8 mars dernier, présente le projet placé au cœur de la soirée. La création française à Toulouse du concerto pour piano et orchestre de Viktor Ullmann constitue l’un des événements de cette entreprise salutaire qui consiste à faire enfin revivre la musique de Terezin.
La Halle aux Grains pendant la projection du film sur le camp de Terezin
– Photo Classictoulouse –
Comme le rappelle Marek Halter, «… l’ancienne forteresse de Terezin (Theresienstadt en allemand), édifiée à soixante kilomètres de Prague, fut transformée par les nazis en un camp modèle où furent enfermés la plupart des compositeurs et interprètes juifs qui n’avaient pas eu le temps de fuir, comme Schönberg, aux Etats-Unis ou ailleurs. Les compositeurs devaient y composer et les interprètes jouer. Tel était le prix de leur survie (…) Tous ces hommes périrent à Auschwitz. » La jeune pianiste Nathalia Romanenko, soliste ce 8 mars du concerto de Ullmann, est à l’origine de ce projet de résurrection de tout un pan de production musicale sous les barbelés. Elle doit en être chaleureusement remerciée. La présentation, bouleversante et sobre, de Marek Halter est précédée de la projection d’un très court film, tourné par les nazis eux-mêmes dans ce lieu de sinistre mémoire. On y assiste à un concert organisé dans le camp et dont les acteurs sont les musiciens à l’étoile jaune. Tragique témoignage d’une barbarie qui se pare des oripeaux de la culture, tous ces musiciens furent gazés à Auschwitz. Nombreux sont donc les compositeurs dont les œuvres ont été englouties avec l’existence de leur auteur. La recherche des documents et partitions qui témoignent de cette production musicale constitue l’essence du projet ainsi présenté.
Nathalia Romenaneko soliste du concerto pour piano et orchestre de Viktor Ullmann,
sous la direction de Joseph Swensen – Photo Classictoulouse –
Viktor Ullmann, également chef d’orchestre, pianiste et critique musical, a conçu son concerto pour piano en 1939, donc avant son arrestation. La dédicataire, la pianiste Juliette Aranyi, subit le même sort que le compositeur. Celui-ci ne cessa jamais d’écrire pendant son internement à Terezin. C’est de cette époque que date notamment son opéra Der Kaiser von Atlantis (L’Empereur de l’Atlantide) qui connut une certaine célébrité. Sous la direction du chef américain Joseph Swensen, l’un des habitués favoris de la Halle aux Grains, l’Orchestre national du Capitole s’investit totalement dans cette résurrection. Quant à Nathalia Romanenko, qui avait déjà beaucoup séduit lors de son récital au cours du dernier festival Piano aux Jacobins, elle se lance dans la bataille avec la fougue maîtrisée dont elle est coutumière. L’effervescence rythmique de l’Allegro con fuoco, qui s’achève sur une montée chromatique digne du grand Prokofiev, précède la nostalgie mélodique de l’Andante tranquilo, poésie sublimée comme dans un certain Adagio assai du Concerto en sol de Ravel. Les dialogues fructueux entre le piano et les bois irriguent ce scherzo ironique que constitue l’Allegro, alors que le bref final, Allegro molto, est marqué par un rythme obsessionnel scandé par la timbale. Une certaine parenté avec la musique de Kurt Weill flotte sur toute l’œuvre. Le grand succès public obtenu par cette révélation incite Nathalia Romanenko à prolonger le souvenir avec le fameux Nocturne posthume en ut dièse mineur, de Chopin, si dramatiquement utilisé par Roman Polanski dans son film Le Pianiste…
Joseph Swensen à la tête de l’Orchestre national du Capitole, lors du concert du
8 mars 2012 – Photo Classictoulouse –
En début de soirée, Joseph Swensen dirige avec fougue la belle ouverture du Songe d’une nuit d’été du jeune Felix Mendelssohn de dix-sept ans, chef- d’œuvre de finesse et d’imagination. Enfin, la seconde partie du concert est consacrée à Robert Schumann, notamment complice de Mendelssohn pour la résurrection de la dernière symphonie de Schubert. Sa deuxième symphonie, la plus complexe, la plus étrange, traduit l’état d’angoisse et de dépression qui affectait alors celui que la folie finira par emporter. Suivi par un orchestre ardemment réactif, Joseph Swensen en dévoile les méandres et les subtilités avec une science admirable. L’agogique des nuances, choisies avec intelligence et sensibilité, en éclaire le déroulement. Le premier mouvement trouve ainsi sa logique et la richesse de ses étonnants contrastes. La vivacité fébrile du Scherzo, le lyrisme sensible de l’Adagio espressivo, ciselé comme une marche tranquille dans cette forêt qu’aimait tant Schumann, se révèlent en définitive comme autant de pistes menant à l’appel vigoureux du final. La ferveur rythmique de cet Allegro molto vivace transcende les angoisses et les inquiétudes qui balisent toute la symphonie. De la bien belle ouvrage !