Thibaut Garcia nous l’avait promis. La saison 2023-2024 de Toulouse Guitare allait s’ouvrir sur un week-end complet consacré à l’instrument populaire au meilleur sens du terme. Pari gagné. Du 6 au 8 octobre, un programme exceptionnel de trois concerts a attiré à l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines un public nombreux, passionné et heureux de partager les initiatives musicales du Directeur artistique de cette saison, Thibaut Garcia, devenu prophète en son pays.
Lorenzo Micheli, un retour acclamé
Le grand guitariste et pédagogue d’origine italienne, Lorenzo Micheli, ouvrait ce week-end, le 6 octobre. Il a remporté de nombreux premiers prix dont le célèbre Guitar Foundation of America en 1999. Il poursuit une brillante carrière en duo et en solo et exerce ses talents de pédagogue en enseignant notamment au conservatoire de Lugano. Déjà invité par Toulouse Guitare en 2020 en duo avec Matteo Mela, il revient donc seul cette fois pour ouvrir la saison 23-24.
Son programme du 6 octobre, qu’il présente avec finesse et pédagogie, explore un répertoire rare, exigeant et d’une remarquable originalité. La succession des œuvres jouées semble obéir à un ordre, à une idée directrice d’une subtilité impressionnante.
Le monde du lied romantique ouvre la soirée avec la transcription par Ferdinand Rebay (1880-1953) du poignant « Der Tod und das Mädchen » (La Jeune fille et la Mort) de Franz Schubert qui s’enchaîne sur les Variations du même Ferdinand Rebay sur le « Wiegenlied » (Berceuse) de Johannes Brahms. De la tragédie à la douceur. Lorenzo Micheli enchaîne ensuite deux interventions autour de Debussy. L’hommage imaginatif que lui rend en 1924 le compositeur français, trop rare dans les programmes de concert, Georges Migot (1891-1976), est suivi d’une transcription fidèle de « Minstrel » par Mario Castelnuovo-Tedesco (1895-1968). Le jeu subtil du guitariste déploie ici une irrésistible palette de couleurs.
Trois des 24 Caprichos de Goya op. 195, de Mario Castelnuovo-Tedesco, permettent à l’interprète de démontrer l’étendue d’une brillante virtuosité toujours accompagnée d’une musicalité exemplaire. Les hallucinantes variations sur le thème du Dies Irae donnent le vertige !
Toute la seconde partie est consacrée à l’intégrale des neuf pièces du Nocturnal After John Dowland, Op. 70 composé en 1963 par Benjamin Britten pour le guitariste Julian Bream. Toute la complexité de ces pièces exigeantes est brillamment éclairée par l’interprète. De la méditation à l’exaltation, de l’anxiété au rêve, tous les affects de ces moments suspendus sont admirablement transmis à l’auditoire, comme hypnotisé par le guitariste.
Deux bis réclamés ardemment par le public complètent ce beau voyage : Rondo de Mario Castelnuovo-Tedesco et S’acabbadora de Francesco Morittu (1958-2023).
Avec Thibaut Garcia, il était une fois Agustin Barrios
Pour son premier récital dans le cadre de Toulouse Guitare, le Directeur artistique de cette belle institution, Thibaut Garcia, a décidé de brosser le portrait d’un compositeur original et généreux, le Paraguayen Agustin Barrios (1885-1944). Cette soirée du 7 octobre, il s’agit pour le grand guitariste toulousain non seulement de jouer la musique de Barrios, mais également d’évoquer une vie hors du commun. En ce sens Thibaut Garcia révèle des talents de conteur qu’il sait exercer avec des mots simples.
Et sur ce plan aussi, nous avons beaucoup appris. Ainsi, à la suite de la Grande Ouverture de Mauro Giuliani (1781-1829), jouée avec une belle alternance de solennité et de grâce légère, Thibaut Garcia aborde le répertoire bariolé de celui qui connut plusieurs vies en une seule existence. Agustin Barrios, de son nom officiel de naissance, connut plusieurs surnoms. À partir de 1932, il se fait appeler « Nitsuga Mangoré », du nom d’un leader guarani de la résistance à la colonisation espagnole au Paraguay. Remarquons que Nitsuga est tout simplement son propre prénom écrit à l’envers ! Il lui arrivait d’ailleurs de s’habiller en indien guarani lors de ses concerts. Tout au long de sa vie, il fut successivement « El Bohemio », le « Chopin de la guitare », mais aussi le « Paganini des jungles du Paraguay » ! Tout ceci nous est raconté avec simplicité et conviction.
Le programme musical mêle les pièces originales du Paraguayen et quelques-unes de ses transcriptions. C’est ainsi que le Prélude op.28 n° 4 de Frédéric Chopin résonne en miroir avec la Mazurka Appassionata et une émouvante partition intitulée Una limosna por el amor de Dios (Une aumône pour l’amour de Dieu) dans laquelle l’interprète pratique avec ferveur et virtuosité un trémolo poignant. On retrouve d’ailleurs un autre trémolo dans la pièce Un sueño en la floresta (Un rêve dans la forêt). Après les accents dansants de deux valses séduisantes, Choro da saudade évoque quelques échos brésiliens.
Une autre transcription suggestive concerne la fameuse Sonate au clair de lune, de Beethoven que Barrios admirait tout particulièrement. Sous les doigts de Thibaut Garcia, elle résonne comme un original.
Le programme du récital s’achève sur la pièce la plus célèbre du compositeur, La Catedral, une sorte d’hommage à la cathédrale de Montevideo. De ce véritable monument (dixit Gaëlle Garcia, la mère du guitariste !), l’interprète analyse les subtilités, évoquant les impressions ressenties, le tintement des cloches et finalement le contraste avec les bruits de la rue.
Une belle ovation de la salle pleine à craquer en appelle à la générosité de Thibaut Garcia qui joue en bis une pièce supplémentaire de Barrios, Maxixe, danse héritée du Brésil. Il termine la soirée avec un retour vers les musiques anciennes qu’il affectionne également. La magie de la célèbre pièce de Marin Marais Les Voix humaines, referme cette rencontre sur une intense émotion.
Nouvelle Génération : point d’orgue à quarante voix !
Apothéose ou aboutissement musical, la rencontre du dimanche 8 octobre à 11 h 30 rassemble sur le plateau de l’Auditorium Saint-Pierre des Cuisines une quarantaine d’étudiants et une bonne douzaine de professeurs issus des huit pôles supérieurs d’enseignement artistique possédant une classe de guitare. Le Conservatoire National Supérieur de Paris en fait partie. Le Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse s’est évidemment associé au projet. L’idée de cet événement a été lancée par Nadine Laurens, directrice de l’unité musique de l’ISDAT (Institut Supérieur des Arts et du Design de Toulouse), en partenariat avec Toulouse Guitare.
A la mi-journée dominicale de ce 8 octobre, la quarantaine d’étudiants concernés et motivés présente ainsi au public venu en nombre une vingtaine de contributions musicales réunissant chacune d’un seul à cinq musiciens.
Venus de Dijon, de Strasbourg, de Paris et de la région parisienne, de Bordeaux, de Renne, de Lille et bien sûr de Toulouse, ces étudiants offrent un choix musical qui couvre un répertoire immense. Du XVIème au XXIème siècles, tous les styles sont abordés. Francesco Da Milano et John Dowland voisinent avec Philip Glass, Mario Castelnuovo-Tedesco avec Isaac Albéniz, Fernando Sor avec le contemporain Arthur Kampela (dont la Percussion Study impressionne !) et bien d’autres.
Le haut niveau technique et musical des jeunes guitaristes doit être souligné. On ne peut qu’admirer l’engagement de chacune et de chacun, leur joie visible de faire de la musique ensemble.
Remercions tous les artisans de cette rencontre, à commencer par les enseignants à l’ISDAT et aux CRR de Tour et de Toulouse que sont respectivement Rémi Jousselme et Benoît Albert. L’implication sans faille de Thibaut Garcia et de sa famille, les fondateurs imaginatifs de Toulouse Guitare, constitue le ciment de cette entreprise originale.
Cette sixième édition de Toulouse Guitare se poursuit avec les récitals de Raphaël Feuillâtre, le 1er décembre 2023, le duo Melis, le 28 janvier 2024, Margarita Escarpa, le 15 mars et le luthiste Thomas Dunford, le 5 mai 2024. A nos agendas !
Serge Chauzy