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La forêt musicale

Thierry Huillet, pianiste et compositeur (ou l’inverse…), n’est d’aucune école, d’aucune chapelle. Il crée en toute liberté, sur les thèmes qui l’inspirent, une musique inventive, originale dont les structures formelles épousent tout naturellement son imagination. Le 26 novembre dernier, était créée à Toulouse une œuvre ambitieuse aux contours singuliers intitulée « Le Carnaval de la forêt ».
Il y a quelque chose de schumannien dans cette démarche compositionnelle. Et pas seulement parce que l’épouse de Thierry Huillet se prénomme Clara… Cette partition pour dix instruments comporte treize séquences, courtes et évocatrices, comme une succession de tableaux ou un livre d’images. Comment ne pas penser aux « Scènes de la forêt » de Schumann ? Mais également l’esprit des « Tableaux d’une exposition » de Moussorgski se retrouve dans l’enchaînement qui relie ces évocations. Et enfin la composition de l’instrumentarium n’est autre que celle conçue par Camille Saint-Saëns pour son célèbre « Carnaval des Animaux » auquel Thierry Huillet souhaite explicitement rendre hommage. Néanmoins, toutes ces références n’obèrent en rien la grande originalité de la musique qui emplit cette structure formelle. D’autant plus que chaque pièce s’accompagne d’un court poème écrit par le compositeur lui-même. Poésie et humour sont assumés dans ces quatrains faussement naïfs qui ne refusent pas les vers de mirliton. Imitative ou évocatrice, la musique qui illustre ces poèmes traduit les images les plus inattendues. Nostalgie, ironie, poésie nourrissent ce puzzle foisonnant. On y découvre une utilisation iconoclaste de la danse. Ainsi surgit au détour du bois une étrange « Valse des cèpes et polka des girolles », ou encore un « Tango du grand cerf et de sa dame », dans un style à la Piazzolla, une mélancolique « Habanera des feuilles mortes »… Le « Rock des Marcassins » déchire et la csardas finale emporte tout dans un tourbillon vertigineux.

Le pianiste et compositeur Thierry Huillet en compagnie de ses interprètes du

“Carnaval de la forêt” (Photo Classictoulouse)

Saluons la qualité exemplaire de l’exécution qui bénéficie des talents de musiciens de premier plan. Ceux-ci apparaissent élégamment masqués et ils se démasquent peu à peu tout au long de l’ouvrage. Thierry Huillet lui-même et Mirabela Dina tiennent les deux pianos. Clara Cernat et Lucile Duran, violons virtuoses et poétiques, Aida Carmen Soanea, alto chaleureux, Damien Ventula, violoncelle de velours, Petre Iuga, profonde contrebasse, Sandrine Tilly, magistrale à la flûte et Aljaz Begus, subtile clarinette, sont accompagnés de la percussion habile et précise de Philippe Spiesser. De la belle ouvrage.

Cette création était précédée de deux œuvres courtes vouées au voyage. « Amazonia », pour violon et piano, évoque encore le thème de la forêt. Des touffeurs tropicales du premier volet à la frénésie exubérante du final en passant par la danse un rien sauvage du passage central, toute la pièce explore le monde des sensations exotiques. Le violon de Clara Cernat y brille de tous ses feux, aux côtés du piano virtuose de Thierry Huillet.

Enfin, les « Sept haïku » pour piano sont joués par le compositeur lui-même en création mondiale. Cette sorte de « Mikrokosmos » bartokien sur ces courts poèmes japonais, prolonge les « Dix-sept haïku » pour violoncelle et piano, donnés la saison dernière dans ce même auditorium Saint-Pierre des Cuisines. Poésie subtile qui se donne les moyens d’une expression minimaliste. Le compositeur-interprète utilise ici aussi son piano avec imagination, intervenant même directement sur les cordes, à la manière d’un John Cage et son piano préparé. De la magie debussyste de « Le temps de la nuit », à l’éblouissant et orageux final, voici la plus touchante des mosaïques musicales.

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