Le 25 janvier dernier, le concert Happy Hour de l’Orchestre national du Capitole donnait la parole musicale au basson. Placé sous la direction de Sophie Dartigalongue, par ailleurs grande bassoniste solo de l’Orchestre Philharmonique de Vienne, l’orchestre accompagnait avec une verve particulière les musiciennes et musiciens du pupitre de bassons de la phalange symphonique toulousaine.
Rappelons tout d’abord la joyeuse spécificité de ces concerts Happy Hour du samedi après-midi qui attirent les familles avec de jeunes enfants. Et soulignons le respect et l’enthousiasme avec lequel ce public accueille les musiciens et les musiques. L’atmosphère de ces séances fait chaud au cœur !
En cette fin d’après-midi, l’Orchestre, animé avec ferveur par Sophie Dartigalongue, accompagne tout d’abord trois des membres éminents du pupitre de bassons dans une série de pièces concertantes que l’on découvre avec gourmandise.
Estelle Richard et Guillaume Brun sont d’abord les solistes d’un concerto pour deux bassons et cordes d’Antonio Vivaldi, compositeur de 39 concertos pour l’instrument en question. Néanmoins, les musiciens ont choisi de jouer la transcription pour deux bassons du concerto en sol mineur VII n° 2 RV 53 pour deux violoncelles ! Les deux solistes dialoguent avec animation dans cette partition joyeuse qui sollicite la virtuosité de leur jeu. On admire particulièrement l’intimité de l’Adagio dans lequel seul le continuo accompagne la discussion entre les deux solistes.

La pièce suivante constitue une découverte étonnante des possibilités musicales du plus grave (et du plus lourd !) des membres de la famille, le contrebasson. Maniant avec une aisance déconcertante cet instrument impressionnant, Marion Lefort, bien connue et appréciée des habitués, joue le premier mouvement « mysterioso » du concerto pour contrebasson et orchestre à cordes composé en 2016 par l’Américain Daniel Baldwin, né en 1978. Dès les premiers sons gutturaux émis par l’instrument soliste qui semble se réveiller c’est un monde nouveau qui se manifeste. Le mystère plane tout au long de ce mouvement.
De Carl Maria von Weber, l’Andante et Rondo hongrois opus 35 a d’abord été écrit pour alto et orchestre. Transcrite pour basson la partie soliste est partagée entre le calme méditatif de l’Andante et l’agitation « exotique » du Rondo hongrois. Guillaume Lebrun en assume avec virtuosité les deux pôles de l’œuvre.

La dernière partition au programme, la plus développée du concert, aborde le riche répertoire orchestral d’Igor Stravinski. Présentée avec pédagogie par Sophie Dartigalongue elle-même, la Suite du ballet Pulcinella représente bien la phase « néo-classique » du compositeur. La virtuosité requise pour son exécution s’adresse à chaque instrument dont les interventions constituent de difficiles solos ou de délicats traits d’orchestre. Au point de constituer une sorte de concerto pour orchestre, comme celui, célèbre également, de Béla Bartók. Le hautbois, la trompette, la flûte, la clarinette, le cor, le basson bien sûr, mais surtout le violon soliste (un grand bravo à Jaewon Kim !) sont abondamment sollicités tout au long des huit épisodes.

Un savoureux trio réunit un moment la flûte, le cor et le basson, comme en un instant suspendu de musique de chambre. Chaque pupitre de l’orchestre se montre à la hauteur du défi.
La soirée se prolonge avec deux interventions supplémentaires bruyamment acclamées par le public. Sophie Dartigalongue échange alors sa baguette de cheffe pour son basson allemand (ou fagott) et se joint à Estelle Richard et Guillaume Brun pour l’exécution du Requiem du compositeur et violoncelliste tchèque David Popper (1843-1913). Cette pièce, initialement conçue pour trois violoncelles, est une fois encore transcrite pour trois bassons. Elle associe en outre deux écoles de basson, l’école française et l’école allemande. Un beau moment de musique apaisée.

La venue sur le plateau de la Halle aux grains des deux autres bassonistes de l’Orchestre constitue la surprise finale de cette rencontre. Mylène Poulard et Lionel Belhacène viennent ainsi compléter le pupitre en question. Les six musiciens ainsi réunis se lancent alors dans une habile transcription de l’épisode « Dans l’antre du roi de la montagne », extrait de la Suite Peer Gynt du Norvégien Edvard Grieg. Un rare moment de triomphe « bassoniste » qu’il ne sera probablement pas possible de revivre de sitôt… !
Serge Chauzy
Programme du concert
Antonio Vivaldi (1678-1741) : Transcription pour deux bassons du Concerto pour deux violoncelles en sol mineur
Daniel Baldwin (1978-) : Concerto pour contrebasson, 1er mouvement Mysterioso
Carl Maria von Weber (1786-1826) : Andante et Rondo hongrois opus 35
Igor Stravinski (1982-1971) : Pulcinella, Suite (1922)