Pour son concert d’ouverture du 10 octobre dernier, l’association Les Grands Interprètes recevait pour la première fois à Toulouse l’Orchestre Symphonique National de Chine dirigé par Tan Dun. Ce concert célébrait le 60ème anniversaire de l’établissement de relations diplomatiques entre la Chine et la France. La découverte était au programme de cette soirée d’œcuménisme musical.
Le China National Symphony Orchestra, fondé en 1956, avait déjà noué des liens avec la Ville rose. En effet, en mars 2010, Michel Plasson, qui a dirigé l’Orchestre national du Capitole pendant plus de trente ans, a été nommé Directeur musical de cet orchestre, premier étranger à occuper ce poste. Autre lien entre Toulouse et la Chine, Tarmo Peltokoski, le nouveau Directeur musical de notre orchestre, vient d’être nommé Directeur musical du Philharmonique de Hong Kong !
Saluons donc l’initiative des Grands Interprètes d’accueillir enfin à Toulouse cette formation symphonique internationale et son Directeur musical Tan Dun, né en 1957, qui a étudié au Conservatoire central de musique de Pékin puis s’est installé aux États-Unis en 1986. Le choix du programme musical de ce concert du 10 octobre a composé un étonnant voyage sonore entre Chine et Occident. L’alternance entre grandes œuvres du répertoire international et pièces originales de l’écriture contemporaine chinoise constituait l’intérêt majeur de celle soirée festive.
C’est sur une œuvre du chef d’orchestre Tan Dun lui-même que s’ouvre ce programme. Le langage secret du vent et des oiseaux, qualifié de « Mobile Symphony Poem » a fait l’objet d’une commande du Carnegie Hall et de l’Orchestre National des Jeunes des États-Unis. Son originalité consiste à associer aux instruments de l’orchestre les sonneries de smartphones brandis par les musiciens eux-mêmes et diffusant des sons, imités par des instruments traditionnels chinois, des oiseaux, du vent et de l’océan. A ces sonorités inattendues se joignent les murmures des musiciens et même leurs claquements de doigts. La surprise est totale ! La pièce déploie en outre les couleurs contrastées de passages violents et de plages apaisées. Il s’agit pour le compositeur d’envoyer un message écologique d’espoir devant l’émerveillement de la nature et face à une humanité de plus en plus consciente des périls auxquels elle est exposée.
Le contraste n’est pas mince avec l’œuvre suivante, un grand classique de la musique occidentale. La Symphonie concertante pour violon, alto et orchestre de Mozart bénéficie ce soir-là de la participation de la violoniste bulgare Liya Petrova et de l’altiste française Lise Berthaud, solistes d’un orchestre à l’effectif particulièrement généreux. Ces deux musiciennes transfigurent la partition. Les sonorités, à la fois élégantes et complémentaires, se mêlent, s’interrogent, se répondent comme dans un duo d’opéra. Avec vigueur, précision et sensibilité les lignes mélodiques des deux instruments réalisent un accord parfait dont les nuances enrichissent ces échanges. Ceci dès leur entrée après l’introduction orchestrale. La musique hypnotique de l’Andante, avec ses effets d’échos, évoque une sorte de récit tragique. Elégance et raffinement animent tout particulièrement les cadences, comme déclamées hors du temps. Ovationnées, les deux musiciennes offrent en bis l’Adagio de l’un des duos pour violon et alto composés par Mozart à la même époque que la Symphonie concertante, le K. 423.
La deuxième partie de la soirée s’ouvre sur une sorte de gag musical impressionnant. L’arrangement de Guan Xia, qui fut Directeur musical de l’orchestre, de la pièce originale de Ren Tongxiang (1927-2002), The Song of the Phoenix (Le Chant du Phénix), sonne comme un concerto pour suona et orchestre. Le suona est un instrument à vent traditionnel chinois de la famille des bois à anche double, proche du hautbois et muni d’un pavillon. Sa sonorité épicée, suraigüe surprend l’oreille occidentale. La virtuosité avec laquelle il est joué par la soliste Liu Wenwen dépasse l’imagination. Grâce à son souffle inépuisable, elle prolonge ses tenues pendant d’incroyables périodes. Son instrument caquette, hennit, hoquette, chevrote, soutenu par un orchestre coloré au sein duquel les interventions solistes dominent. La performance vaut à la musicienne une acclamation admirative.
La soirée s’achève sur un autre grand classique du répertoire occidental, la Suite datant de 1919 du ballet L’Oiseau de feu d‘Igor Stravinski. Sous la direction dynamique de Tan Dun, l’orchestre souligne essentiellement les contrastes dynamiques des cinq mouvements de la partition. Malgré les quelques imprécisions qui affectent les premières mesures, l’éclat général est soutenu jusqu’à l’explosion finale, spectaculaire en diable !
Deux bis répondent généreusement aux applaudissements nourris de l’assistance. Le premier ressemble à un hommage à la musique française, puisqu’il s’agit de l’ouverture de Carmen, de Bizet (Michel Plasson y aurait-il contribué ?). Le second a pour titre anglais « Spring Festival » (Festival de printemps). Il est dû au compositeur chinois Li Huanzhi, disparu en 2000.
Le dialogue entre les musiques s’est donc poursuivi jusqu’à la fin de la soirée.
Serge Chauzy