Concerts

La belle saison !

Le 6 mai, le cycle Grands Interprètes recevait, après une longue période d’absence, l’un des grands violonistes de notre temps et, pour la première fois, un ensemble à cordes dont la réputation suscitait une attente toute particulière. Gil Shaham et les Sejong Soloists New York venaient ainsi présenter à Toulouse un programme centré sur les célébrissimes Quatre Saisons de Vivaldi et complété par deux partitions assez rares signées Chostakovitch et Grieg.
La première partie de la soirée confronte Dimitri Chostakovitch et Edvard Grieg sous les archets étonnants des jeunes musiciens de cet ensemble à cordes hors norme né de la volonté de Hyo Kang, professeur de violon de renom à la Juilliard School et à l’Université de Yale, qui a invité voici dix-huit ans, onze jeunes musiciens de huit nations différentes – Australie, Canada, Chine, Allemagne, Japon, Corée, Taiwan et Etats Unis – pour former les Sejong Soloists New York. L’ensemble s’est développé et a acquis une réputation dont le public toulousain peut enfin constater à quel point elle est justifiée. Jouant sans chef et debout (à l’exception des violoncellistes et… du claveciniste, bien sûr !), ces artistes incroyablement doués déploient une ardeur musicale qui fait chaud au cœur. Une cohésion absolue, une précision diabolique, un sens surprenant de la stratégie musicale font dire à Gil Shaham lui-même : « Jouer avec eux, c’est un peu comme jouer du basket-ball avec la NBA ! »

L’ensemble instrumental Sejong Soloists New York dans sa formation d’octuor à cordes

– Photo Classictoulouse –

Le diptyque de Dimitri Chostakovitch, Prélude et Scherzo pour octuor à cordes, écrit en 1924-1925 lorsque le compositeur était encore élève au conservatoire de Léningrad, témoigne de la précocité de ce créateur d’à peine dix-neuf ans. Disposés en arc de cercle, comme deux quatuors à cordes en miroir, les interprètes portent à bout d’archet ce Prélude à la fois élégiaque et révolté que Chostakovitch dédie à son ami le poète Volodia Kurtchavov, prématurément disparu. Ils exaltent la violence explosive, l’écriture ardemment agressive et dissonante du Scherzo avec une virtuosité et un sens de jeu collectif qui font de cet ensemble comme un instrument unique à trente-deux cordes !

Après cette bourrasque enflammée, la Suite Holberg, plus exactement Suite dans le style ancien op.40 : Du temps de Holberg, d’Edvard Grieg, retrouve un monde plus paisible et habilement recomposé. Celui des suites de danses baroques auxquelles le compositeur norvégien rend hommage. Là encore il faut saluer la précision du jeu, des coups d’archet, le sens des nuances et des phrasés, une belle caractérisation de chaque danse, de la ferveur frémissante du Prélude jusqu’aux accents scandinaves du Rigaudon final, en passant par la langueur de la Sarabande et de l’Air, ainsi que la bonhommie de la Gavotte.

Gil Shaham, soliste des “Quatre saisons” de Vivaldi avec l’ensemble instrumental

Sejong Soloists New York – Photo Classictoulouse –

C’est dans la seconde partie du concert, consacrée à ces mythiques « Quattro stagioni », qu’intervient enfin Gil Shaham. A l’écoute attentive de ce tube majeur de toute la musique, comment expliquer la boutade de Stravinsky qui affirmait que le « prêtre roux » n’avait pas « composé cinq cents concertos, mais cinq cents fois le même concerto » ! Quitte à enfoncer une porte ouverte, disons-le tout net, ces quatre concertos sont des chefs-d’œuvre uniques. Certes, les parkings, les supermarchés, les ascenseurs, les pubs télévisées diffusent en permanence les accents légers de ces partitions ressuscitées au XXème siècle. Ce n’est pas pour cela qu’il s’agit d’œuvres mineures, loin de là ! L’invention mélodique et rythmique reste stupéfiante lorsque les interprètes se donnent la peine de jouer ce qui est écrit. Les quatre sonnets, joints à la partition par Vivaldi lui-même, livrent d’ailleurs les clés de l’interprétation.

Cette musique imitative, évocatrice, pleine d’invention, trouve avec Gil Shaham et les Sejong Soloists New York, son épanouissement absolu. L’imagination est au pouvoir dans cette interprétation. Gil Shaham prend à l’évidence un plaisir communicatif à se faire le porte-parole du poète musicien. Les sourires complices qu’il échange avec ses collègues en disent long sur la connivence qui les unit. Et quelle sonorité divine : une intense douceur, une couleur de miel, un timbre mordoré qui n’appartient qu’à lui. La diversité des phrasés lui fait alterner avec finesse staccato et legato, ardeur des accents et finesse de pianissimi impalpables. Tous les détails de la partition, soulignés avec une imagination incroyable, lui confèrent une vie frémissante : des gazouillis d’oiseaux au déchaînement de l’orage en passant par les grognements du chien de berger… Et puis il y a ces moments d’extase comme l’Adagio planant de l’Automne. Le grand succès obtenu par ces artistes majeurs les incite à reprendre la douce cantilène du Largo de l’Hiver. A la poursuite du rêve !

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