Concerts

La belle obsession du chiffre trois

Trois compositeurs, trois interprètes, trois œuvres concourraient à la belle réussite du concert du 2 février dernier. Catherine Kauffmann-Saint-Martin accueillait, ce dimanche-là, à l’Orangerie de Rochemontès, le très beau trio à cordes Elysée, autrement dit Laurent Le Flécher, violon, Adeliya Chamrina, alto et Igor Kiritchenko, violoncelle. Le programme intelligemment conçu, en parfaite harmonie avec le lieu et l’heure, illustrait un genre musical qui a traversé les époques et les styles : la sérénade.
Une fin d’après-midi miraculeusement ensoleillée offre ainsi aux spectateurs comme aux musiciens le cadre parfait pour ce voyage immobile à travers trois siècles de musique (là encore le chiffre trois vire à l’obsession !) et trois partitions de jeunesse de compositeurs liés par l’ombre tutélaire de Joseph Haydn. Le premier de ces créateurs n’est autre que le jeune Beethoven. Son opus 8, Trio n° 2 en ré majeur, explicitement baptisé « Sérénade », date de la fin du XVIIIème siècle.

Les musiciens du Trio Elysée. De gauche à droite : Adeliya Chamrina, alto, Laurent Le Flécher, violon et Igor Kiritchenko, violoncelle – Photo Rochemontès©Céline Lamodi –

Entrepris très certainement à Bonn, ses premières notes remontent à l’année 1795. La forme libre de contrainte de la sérénade ouvre la voie à la succession d’une bonne dizaine de mouvements brefs, contrastés, comme un condensé des idées musicales que Beethoven développera tout au long de sa carrière de compositeur révolutionnaire. S’ouvrant et se refermant sur une marche avec le même matériau thématique, cette partition flamboyante développe l’invention prolifique que permet la variation, directement influencée par Haydn. Les musiciens du Trio Elysée abordent cette partition avec une imagination, une vitalité, un naturel réjouissants. Ils marient leurs talents, leurs sonorités, leurs phrasés de manière exemplaire. L’ensemble joue comme une entité cohérente et unie et non comme trois solistes indépendants. Chacun n’en assume pas moins son individualité : luminosité du violon, lyrisme chaleureux de l’alto, rondeur légère et volubile du violoncelle. Une profonde émotion domine l’Adagio ; l’Allegretto alla polacca réjouit le cœur et l’esprit.

C’est au tendre Schubert que revient le soin de succéder à celui qu’il vénérait. L’« étincelle divine » que Beethoven avait décelée chez lui brille intensément dans ce Trio n° 2 en si bémol majeur d’un jeune homme de vingt ans à peine. Jamais jouée du vivant de son compositeur, cette partition frémissante de poésie et de finesse s’écoute comme un lied en quatre épisodes. Chez Schubert, le chant intime ne quitte jamais sa musique instrumentale. Et c’est bien sur le chant que les musiciens du Trio Elysée construisent leur interprétation. Le thème initial de l’Allegro moderato donne le ton poétique de l’ensemble : tendresse et vigueur se complètent harmonieusement. Après le motif faussement enjoué du violon et la rêverie de l’Andante, la déclamation lyrique et tendre de l’alto dans le trio du Menuetto, ravit et émeut. Et c’est encore Haydn qui pointe son esprit dans le Rondo final, sorte de jeu d’échanges entre les trois partenaires.

De gauche à droite : Laurent Le Flécher, violon, Adeliya Chamrina, alto,

et Igor Kiritchenko, violoncelle – Photo Rochemontès©Céline Lamodi –

Ernö Dohnányi n’est pas si souvent présent dans les programmes de concert. Rendons grâce aux musiciens du Trio Elysée de lui donner la chance de convaincre. Celui dont Béla Bartók disait : « Vous pouvez résumer la musique hongroise en une seule personne, Dohnányi », ne peut nier l’affinité qui le lie à Brahms. Datée de 1902, sa Sérénade opus 10, s’inspire indéniablement des pièces semblables de Mozart ou de Haydn. Elle n’en développe pas moins un langage propre, à la fois robuste et raffiné. Admirons la vigueur et l’invention qui habitent la Marche initiale, ainsi que le style populaire de la Romance. On n’est pas vraiment surpris, mais plutôt heureux, d’entendre une fugue se développer dans le Scherzo, puis les variations, mi-rêveuses, mi-inquiétantes, du Tema con variazione. Le Finale rend encore un hommage, appuyé cette fois, à Joseph Haydn auquel Dohnányi emprunte le thème du Rondo all’ungarese de son 39ème trio en sol. Energie, subtilité du jeu, conviction des interprètes réjouissent l’assistance.

Légitimement acclamés, les musiciens reviennent encore avec un autre trio de jeunesse, l’un des trois qu’Alexander Borodine composa pour deux violons et violoncelle. Adeliya Chamrina adapte avec talent la partie de deuxième violon à son alto. Tout imprégnée d’une profonde et belle nostalgie, cette pièce conclut la rencontre dominicale sur un vrai bonheur !

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