Concerts

Jeux d’écriture

Le cycle des Présences Vocales se poursuit dans la diversité et l’ouverture. Les 20 et 21 janvier derniers, le petit Théâtre Saint-Exupère de Blagnac accueillait une version scénique de l’opéra radiophonique de Pierre Jodlowski Jour 54, conçu en hommage à Georges Perec, et présentée dans le cadre de la saison d’Odyssud. La petite salle de spectacle, récemment rénovée dans l’édifice de la chapelle Saint-Exupère, se révèle parfaitement adaptée au propos de cette œuvre de réflexion, intimiste et profonde.

Le dispositfs scénique conçu par Pierre Nouvel – Photo Classictoulouse –

L’imagination de Pierre Jodlowski ne connaît pas de limite. Ce musicien poète explore les marges des disciplines artistiques traditionnelles. Un opéra radiophonique est supposé ne concerner que l’écoute. L’oreille seule « observe ». La version visuelle conçue par Pierre Nouvel transpose le propos du compositeur pour l’œil du spectateur. Le propos de Pierre Jodlowski, largement et clairement présenté par le créateur lui-même en ouverture de soirée, s’inspire du dernier ouvrage inachevé de Georges Perec, « 53 Jours ». Une œuvre littéraire, comme toujours chez Perec, qui s’invente des contraintes faites pour stimuler la réflexion. « 53 Jours » adopte la structure d’une série de poupées russes, chaque énigme posée trouvant sa solution dans un livre qui ouvre à son tour une nouvelle énigme. La réflexion de Pierre Jodlowski telle qu’elle est illustrée par son opéra « Jour 54 » s’inspire précisément des carnets de notes publiés à la fin de l’ouvrage inachevé de Perec, truffé de références à Stendhal. Le titre même « 53 Jours » fait d’ailleurs allusion à la durée supposée de l’écriture de « La Chartreuse de Parmes ».

Ces éclaircissements liminaires conduisent à la phrase clé de Stendhal qui obsède Perec dans ses notes : « Un Roman est un Miroir que l’on Promène le Long de la Route ». Au point de la noter : « Un R est un M que l’on P le L de la R » ! Cette version de l’aphorisme stendhalien sert en outre de rythme musical à toute la dernière partie de l’œuvre de Jodlowski.

– Photo Classictoulouse –

Le dispositif scénique imaginé par Pierre Nouvel prend la forme des deux pages blanches d’un livre ouvert sur lesquelles viennent s’inscrire les paroles de l’ouvrage. Les textes se font et se défont dans une débauche de mouvements. La bande sonore reprend l’enregistrement de l’opéra radiophonique réalisé par l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, dirigé par Jean Deroyer, et les solistes Jérémy Siot, Henri-Charles Caget, Didier Pernoit et Cédric Jullion. Les voix parlées de Michael Lonsdale, Manuela Agnesini et Jérôme Kircher énoncent le texte en français, italien et anglais. Une partition électroacoustique lie le tout, conférant ainsi sa continuité au propos musical. Les thèmes successifs abordés suivent une ouverture en forme de roman policier qui, rapidement, dévie vers l’Histoire et une réflexion mêlant les mots et les nombres. L’humour affleure à tout instant, comme dans ces variations, au sens musical du terme, de l’aphorisme de Stendhal qui devient successivement, lorsqu’on reprend la version acronymique : « Un Rigolo est un Mec qui se Pointe le Lendemain de la Répétition » ou bien : « Un Ruisseau est un Minable qui se Paie le Lit de la Rivière »…

Une sorte d’ésotérisme ludique parcourt cette œuvre qui marque une fois de plus l’originalité du talent d’un authentique créateur. On attend la suite avec curiosité et gourmandise.

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