Concerts

Impression soleil couchant…

Un programme de rêve vient d’ouvrir la saison de musique de chambre des Clefs de Saint-Pierre. Servi par un septuor de jeunes musiciennes sensibles et passionnées, il a profondément marqué la reprise de ce cycle qui sort des sentiers battus et fait vivre la musique autrement. Un programme habilement présenté au public par les musiciennes elles-mêmes. Transcriptions et pièces originales brossent un portrait vivant d’une époque dorée de l’imagination musicale en France, à l’aube du XXème siècle.
Toute la première partie de soirée illustre l’art de la transcription. Poulenc, Fauré, Debussy sont ici joués par l’ensemble des musiciennes grâce à un travail admirable de transcription de David Walter qui sait conserver l’esprit de chaque œuvre tout en la chargeant de couleurs nouvelles. Flûte, clarinette, harpe sont associées à un quatuor à cordes dans un bel équilibre des sonorités.

L’ensemble des musiciennes réunies le 6 octobre 2014. De gauche à droite : Sandrine Tilly, flûte, Laurence Perry, clarinette, Audrey Loupy et Chiu-Jan Ying, violons,

Audrey Leclercq, alto, Elise Robineau, violoncelle et Gaëlle Thouvenin, harpe

– Photo Classictoulouse –

La sonate pour flûte et piano de Francis Poulenc, qui ouvre le concert, devient ainsi une pièce de musique de chambre aux couleurs chatoyantes. L’esprit un peu gavroche du compositeur, moine et voyou, s’y manifeste avec finesse et esprit. La volubilité de la flûte dans l’Allegro malinconico fait des merveilles. La nostalgie de la Cantilena s’épanche avec pudeur alors que la pirouette du Presto giocoso sonne comme un retour vers le tourbillon de la vie. La flûte de Sandrine Tilly virevolte avec un art consommé du son, du phrasé, de la nuance, brillamment entourée d’un commentaire instrumental d’une belle richesse.

Les trois extraits de la suite Pelléas et Mélisande de Gabriel Fauré évoquent ensuite la tendresse et la subtilité du drame de Maeterlinck que Debussy portera quelques années plus tard à la scène. Composées initialement pour orchestre, ces trois pièces trouvent dans cette transcription le ton de la confidence. La sensibilité exacerbée de Mélisande dans le Quasi adagio, l’évocation tournoyante de Fileuse dans l’Andantino quasi allegretto, le lyrisme tendre de la Sicilienne bénéficient ici encore des belles couleurs automnales de l’ensemble instrumental.

La Rhapsodie pour clarinette, de Claude Debussy, initialement conçue comme morceau de concours, offre à l’instrument une partition d’une séduction irrésistible. La soliste Laurence Perry en explore chaque détail dans un souci constant d’éloquence de la grande ligne : son jeu mêle harmonieusement poésie, virtuosité et même humour. Ses échanges avec la flûte, la harpe et le quatuor sont admirablement réalisés.

L’œuvre emblématique de Claude Debussy, son Prélude à l’après-midi d’un faune, retrouve avec bonheur l’art, la douceur sonore, la subtilité du jeu de Sandrine Tilly. La langueur sensuelle de la flûte dialogue ici avec la transcription pour ce même ensemble instrumental du harpiste Fabrice Pierre. L’impressionnisme de Monet devenu musique !

De gauche à droite : Sandrine Tilly, flûte, Audrey Leclercq, alto et Elise Robineau, violoncelle, dans le Trio d’Albert Roussel – Photo Classictoulouse –

Nettement plus rare, le Trio op. 40 pour flûte, alto et violoncelle du marin-compositeur Albert Roussel réunit Sandrine Tilly à la flûte, Audrey Leclercq à l’alto et Elise Robineau au violoncelle. Cette œuvre plus tardive qui flirte avec la polytonalité est donc ici jouée dans sa version originale. L’Allegro grazioso initial pétille d’esprit et de vivacité, alors que l’Andante évoque une étrange rêverie dans laquelle les trois instruments mêlent leur voix avec un charme subtil. Dans l’Allegro non troppo, les interprètes confèrent au passage central Tranquillo un onirisme véritablement magique.

L’apothéose du concert retrouve enfin l’ensemble des interprètes pour sa version, originale cette fois, de l’Introduction et Allegro pour harpe de Maurice Ravel. Un véritable éblouissement ! La harpiste Gaëlle Thouvenin y conjugue les qualités les plus extrêmes. Ainsi, une vigueur sans concession cohabite avec la plus subtile poésie. Elle tire de son splendide instrument une incroyable richesse de sonorités. Ses cadences solo, d’une virtuosité sans faille laissent pantois ! Ses compagnes ne sont pas en reste. Elles tissent un réseau de lignes mélodiques, de contrepoints élaborés, de riches couleurs qui rehaussent encore la ferveur qui ne cesse de croître jusqu’à la conclusion éclatante.

Il faut impérativement saluer l’implication de chacune des interprètes dans la réussite de cette soirée. Outre la flûtiste Sandrine Tilly, la clarinettiste Laurence Perry et la harpiste Gaëlle Thouvenin, un grand bravo aux violonistes Chiu-Jan Ying et Audrey Loupy, à l’altiste Audrey Leclercq et à la violoncelliste Elise Robineau ! Un retour sur scène pour une reprise du final de la Sonate de Poulenc réjouit encore un public légitimement sous le charme.

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