Le concert-lecture du 28 août a mis un point final à l’aventure de Musique en Dialogue aux Carmélites, initiée avec passion et imagination par Catherine Kauffmann-Saint-Martin et son équipe motivée. Ce dernier échange de la 6ème édition marquait donc la fin de ces rencontres originales, à la fois musicales et littéraires hébergées dans la belle chapelle des Carmélites. Une certaine émotion, palpable parmi l’assistance et les organisateurs, a ainsi parcouru et enrichi cette ultime manifestation. Soulignons le fait qu’une fois encore chaque programme de cette belle saison a été une véritable création née de l’imagination des artistes et des concepteurs de la série.
Consacrée aux grands mécènes de la musique, cette dernière saison s’achevait sur une évocation de la généreuse Américaine Winnaretta Singer, princesse de Polignac (1865-1943) qui joua un rôle décisif en France auprès des grands compositeurs du moment. Le récit de cette incroyable destinée a puisé la substance de cette rencontre dans l’ouvrage de Sylvia Kahan intitulé Winnaretta Singer-Polignac, princesse, mécène et musicienne.
Soulignons la belle ordonnance du dialogue qui s’établit tout naturellement entre les mots et leur illustration musicale. Lu avec intelligence, finesse et humour par Zazie Delem, le texte de Sylvia Kahan, subtilement adapté, trace le parcours hors norme de cette héritière de l’inventeur de la machine à coudre, Isaac Merritt Singer. Winnaretta épouse en France le prince Edmond de Polignac, tout aussi homosexuel que sa nouvelle compagne, formant ainsi un couple en quelque sorte « parfait » ! Passionnée de culture, elle tient à Paris un « salon » très réputé où nombre d’artistes européens se croisent : compositeurs, écrivains, danseurs, peintres… Les musiciens sont ses préférés : Maurice Ravel, Reynaldo Hahn, Gabriel Fauré, Erik Satie, Igor Stravinski… bénéficient de sa générosité.
Les plages musicales de ce dialogue illustrent habilement les extraits de l’ouvrage de Sylvia Kahan lus par Zazie Delem. Deux artistes de qualité parcourent un répertoire d’une belle richesse et d’une variété réjouissante. La soprano Françoise Masset, voix claire et lumineuse, parfaitement adaptée au ton de la confidence, déploie un talent remarquable de diseuse. Son sourire, visible autant qu’audible, confère une vie irrésistible à son chant pleinement nuancé. La pianiste Anne Le Bozec, bien connue et appréciée, notamment à Toulouse, ne se contente pas d’accompagner la voix. La fluidité de son jeu séduit immédiatement.
Gabriel Fauré, ouvre le cycle musical avec la belle mélodie Mandoline, aimable fantaisie qui caractérise le style du compositeur. Son Melisande’s song, sur des paroles en anglais résonne étrangement. Deux pièces de Reynaldo Hahn s’immiscent entre ces deux chants. Avec Antoine Watteau, la voix, accompagnée par le piano, se contente de parler, à l’image des « mélodrames » pratiqués par certains compositeurs romantiques allemands. Un beau sourire émane de la paisible mélodie Dans l’été.
Charme et nostalgie imprègnent Lamento et N’écris pas, de l’époux de Winnaretta, Edmond de Polignac qui possédait un certain talent en matière musicale. Avec la fameuse Pavane pour une infante défunte, apparaît la courte silhouette de Maurice Ravel qui dédia sa pièce à Winnaretta, laquelle n’accepta vraiment cette dédicace qu’à la suite de son grand succès ! Anne Le Bozec en exalte avec grâce le lyrisme discret et la finesse expressive.
On apprend ensuite que la nièce du prince, Armande Polignac, taquina également la muse avec Rêverie, sur un poème de Willy, l’époux de Colette. Cette mélodie est suivie d’une aimable contribution de Francis Poulenc, Le Portrait, pleine de fantaisie et de vitalité de l’auteur de… Dialogues des Carmélites ! Plus rares et dignes d’être découvertes, deux mélodies, Chanson pour Avril et Offrande à Pan, de Louis Vierne, surtout connu pour ses œuvres d’orgue, précèdent l’immortel Prélude de la Partita n° 1 en si bémol majeur de Johann Sebastian Bach, mentionné par Winnaretta dans ses propos. Anne Le Bozec en souligne la beauté de la ligne et la fière éloquence.
Les figures hautes en couleurs d’Erik Satie, d’Igor Stravinski, de Darius Milhaud et de Georges Auric occupent une place importante dans cet éventail de pièces liées à la généreuse mécène. L’impertinence ironique du premier se manifeste joyeusement avec un extrait de Socrate (Bords de l’Ilissus/Phèdre). Trois mélodies destinées aux enfants par Stravinski donnent du compositeur du Sacre du Printemps, une image inhabituelle L’ironie de Intérieur, les aimables plaisanteries intitulées Dodo et Tilim-Bom sont traduites avec esprit et malice par Françoise Masset. Il en est de même des témoignages du fameux Groupe des Six que représentent Darius Milhaud et Georges Auric. Mes parents quand je leur ai dit que je l’aimais et Pourquoi me plaindre de mon sort, du premier, trouvent un bel écho dans la légèreté des trois pièces du second sur des textes de Raymond Radiguet, Bateau, Filet à papillon et Escarpin.
Une citation pleine de vivacité, Chanson, de la grande pédagogue que fut Nadia Boulanger précède un retour touchant vers Francis Poulenc. Son Intermezzo n° 2 en ré bémol majeur pour piano témoigne d’une finesse et d’une intensité que l’on n’attribue que rarement à celui que Claude Rostand qualifia de « moine et voyou ». C’est à l’évidence au « voyou » que l’on doit la chanson Monsieur Sans-Souci, dédiée à Jean de Polignac.
Ce panorama réjouissant se conclut sur une autre mélodie d’Edmond de Polignac, A un prince exilé, sorte de résumé de la position particulière de cette personnalité aux multiples facettes.
Un accueil chaleureux du nombreux public ramène les trois interprètes dans le chœur de la chapelle pour un bis signé Stravinski et extrait des Berceuses du chat pour voix et trois clarinettes, habilement transcrit pour piano et voix par Anne Le Bozec. Au chant de Françoise Masset et au piano d’Anne Le Bozec se joignent les miaulements suggestifs de Zazie Delem. Un clin d’œil avoué des artistes à Catherine Kauffmann-Saint-Martin et son amour des félins…
Nous serons nombreux à regretter que ce concert-lecture soit le dernier à animer l’été toulousain de ces rencontres originales et instructives. Souhaitons que de nouvelles initiatives viennent prolonger celle qui a permis de nombreuses découvertes.