La symphonie classique doit tout à Joseph Haydn. Quel bonheur de le constater dans les meilleures conditions qui soient ! Le 18 juin dernier, l’Orchestre National du Capitole, dirigé par Tugan Sokhiev, avait choisi de le rappeler pour son dernier concert d’abonnement de la saison. Une soirée qui associait judicieusement le Tchaïkovski des Variations sur un thème rococo au compositeur majeur de la première école de Vienne.
Tugan Sokhiev dirige l’Orchestre National du Capitole dans deux symphonies de Haydn
– Photo Classictoulouse –
Il n’est hélas pas rare d’entendre encore quelques exécutions pesantes ou ampoulées des chefs-d’œuvre symphoniques de Haydn. L’esprit, la finesse, la vivacité de cette écriture se trouvent alors noyés dans un embonpoint hors de propos. Les remises en question, par la vague « baroqueuse », de l’art d’interpréter ce répertoire sont heureusement de plus en plus prises en compte. C’est ce que l’on observe avec bonheur de la part de la phalange toulousaine et de son chef. L’effectif confortable des cordes de l’orchestre n’entraîne aucune lourdeur de leur jeu. Un vibrato très retenu, une articulation élégante mais toujours acérée et vive, tissent une dentelle légère et subtile, bien éloignée de certaines épaisses moquettes de jadis. La direction pleine de contrastes de Tugan Sokhiev souligne habilement les accents de chaque phrase, animant ainsi un discours toujours ductile et fluide. Les bois épicent les échanges, les cuivres ponctuent avec autorité le déroulement de chaque épisode. Dynamiques, étincelantes comme du vif argent, ces interprétations réjouissent le cœur et l’esprit.
Dans la symphonie n° 104, la timbale impertinente et impériale de Jean-Loup Vergne mène la danse. L’Adagio initial frémit de ces savoureuses dissonances qui donnent du goût à cette belle ouverture. La transition avec l’Allegro dévoile un paysage de plein soleil. On retient sa respiration lors des silences de l’Andante, si finement ménagés. L’esprit mutin du Menuet débouche enfin sur l’exaltation joyeuse du Finale spiritoso. Tout ceci parle un langage clair, transparent comme un ruisseau de montagne.
Tatjana Vassiljeva, soliste des Variations sur un thème rococo de Tchaïkovski
– Photo Classictoulouse –
C’est encore la timbale, cette fois en solo à découvert, qui ouvre la symphonie n° 103, précisément titrée « Roulement de timbales ». Tugan Sokhiev confère à l’étonnant Adagio initial toute l’angoisse d’une attente qu’un thème proche du Dies Irae teinte d’une étrange et sombre couleur. Le sourire de l’Allegro con spirito qui s’enchaîne vient éloigner cette ombre fugace. La lente marche de l’Andante, dont Schubert se souviendra peut-être lorsqu’il composera sa 9ème symphonie, se pare d’un solo de violon d’une belle effervescence. Laurent Pellerin l’éclaire d’une élégance et d’une musicalité admirables : phrasé raffiné, couleurs subtiles. Les vents nourrissent le Menuet de la beauté de leurs timbres et l’Allegro con spirito final éblouit par sa ferveur joyeuse. Le public en redemande et obtient alors une brillante reprise en guise de bis.
Entre ces deux chefs-d’œuvre, Tchaïkovski glisse son hommage aux anciens maîtres. Les Variations sur un thème rococo pour violoncelle et orchestre ne se contentent pas de donner au soliste l’occasion de briller. Il construit un parcours en forme de ballet dont le héros est le violoncelle. La violoncelliste russe Tatjana Vassiljeva aborde l’œuvre comme on se glisse dans un rôle. Sa généreuse sonorité, sombre et intense, met en lumière le thème générateur des huit variations contrastées qui l’illustrent. Elle construit son interprétation sur la durée. Le respect de la grande ligne, de sa continuité, évite ainsi un morcellement de cette partition brillante mais aussi profonde et soutenue. Fougueux et dynamique, le jeu de la soliste sait aussi faire patte de velours. L’épisode central, joué comme dans un rêve, suspend un instant le déploiement de virtuosité. Le dialogue avec l’orchestre aboutit à une conclusion rutilante, chaleureusement saluée par le public. Deux bis extraits des Suites pour violoncelle seul de Johann Sebastian Bach (Prélude de la 1ère, Gigue de la 3ème) prolongent encore le plaisir.