Le 3 mars dernier, les voûtes de la chapelle Sainte-Anne de Toulouse résonnaient aux accents truculents et chaleureux d’un spectacle flamboyant et imaginatif intitulé « Fays ce que vouldras ». Il s’agissait de la création d’un nouveau programme musical et poétique que Les Sacqueboutiers ont élaboré autour de l’œuvre de François Rabelais, avec la collaboration du splendide ensemble vocal Clément Janequin, dirigé par Dominique Visse.
L’ensemble vocal « Clément Janequin » (Photo Koen Broos)
Conçu comme un itinéraire cohérent à travers l’époustouflant recueil intitulé « Grandes et inévitables chroniques de l’énorme géant Gargantua », du moine médecin, ce spectacle associe des textes de Rabelais, mais aussi Louise Labé, Joachim du Bellay, ou encore Clément Marot, tous particulièrement bien sélectionnés par Christian Chauzy, à un florilège de pièces vocales et instrumentales illustrant les thèmes abordés. Le public en parcourt ainsi les épisodes essentiels, de la naissance du génial géant jusqu’à la fondation de la fameuse abbaye de Thélème. Les thèmes initiateurs d’un humanisme « Renaissance » convoquent ainsi des poèmes et des musiques d’un foisonnement éblouissant.
Un appétit et une soif inextinguible de vitalité irriguent ce parcours, illustrant les tourments d’amour, la chasse, la danse, la guerre, jusqu’à la découverte de la sagesse humaniste incarnée dans cette devise ultime « Fays ce que vouldras ».
Le récitant des textes, l’acteur Pierre Margot, du haut de la chaire ou se mêlant aux musiciens, s’empare de ces poèmes, les faits siens, les anime de sa flamme et de sa gourmandise, ménageant de subtils enchaînements avec la musique.
« Les Sacqueboutiers » lors d’un récent concert toulousain
Musique et poésie
Les chansons, déclamées avec une prodigieuse énergie par les « Janequin », s’organisent autour des deux piliers incontournables que sont « La chasse » et « La guerre » précisément de Clément Janequin. Dominique Visse, contre-ténor, Hugues Primard, ténor, Vincent Bouchot et François Fauché, barytons, Renaud Delaigue, basse, composent cet ensemble prestigieux, devenu l’interprète incontournable de ce répertoire. Les aboiements des chiens, les pétarades des armes n’effraient pas ces valeureux interprètes. Néanmoins, il faut de nouveau louer ici la cohésion rythmique, la précision d’une diction habilement reconstituée, l’infinie justesse de ces voix mêlées qui nourrissent la vitalité impressionnante de leurs interprétations. Les « Janequin » savent s’approprier les œuvres qu’ils chantent et en révéler toutes les beautés. Aux débauches gaillardes signées Lejeune, Sermisy, Bataille ou Costeley, les chanteurs et les musiciens opposent la poésie bouleversante d’émotion et de finesse de Lassus ou de Bertrand. « La nuict froide et sombre » du premier, « Je vis, je meurs », du second tirent les larmes.
Les musiciens ne sont d’ailleurs pas en reste. « Les Sacqueboutiers », autrement dit Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Philippe Canguillem, chalémie et doulcène, Daniel Lassalle, saqueboute, Laurent Le Chenadec, basson, Florent Tisseyre, percussions et Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, enluminent les chants de leurs broderies raffinées et pourtant d’une belle opulence. Le subtil contrepoint avec les voix se nourrit du talent de chacun. On notera la performance de Yasuko Uyama-Bouvard qui joue simultanément et avec panache du clavecin et de l’orgue, une main pour chaque clavier ! Les pièces instrumentales du célèbre éditeur Pierre Attaingnant, dont l’éblouissant « Tourdion », qui illustrent brillamment l’épisode consacré à la danse, sont ainsi admirablement jouées, phrasées avec une science et une musicalité extrêmes.
Les applaudissements du public, réfrénés tout au long de ce périple parcouru dans la continuité, font un véritable triomphe aux interprètes qui ne peuvent se soustraire à l’exécution d’un bis décalé et particulièrement réjouissant : l’une de ces chansons parisiennes de la fin du 19ème siècle, clamée et jouée avec toute la gouaille qu’elle recèle. Un vrai bonheur !