Concerts

Du sourire aux larmes

La voix de Cecilia Bartoli ? Un vrai miroir de l’âme et du cœur. Peu de cantatrices savent comme elle colorer leur timbre vocal, le charger de toutes les émotions, en faire le véhicule privilégié des sentiments et des expressions. La grande mezzo-soprano romaine était à Toulouse, le 27 octobre dernier, à l’invitation des Grands Interprètes, pour un concert-récital centré sur Georg Friedrich Haendel et les arias de ses grands ouvrages.

La mezzo-soprano romaine Cecilia Bartoli

Brillamment accompagnée par l’Orchestra « La Scintilla » (autrement dit l’étincelle), émanation baroque de l’orchestre de l’Opéra de Zürich, la grande diva toute simple offrait au public de la Halle aux Grains fasciné et conquis, un florilège des grands airs d’opéra de l’époque dorée du chant baroque haendélien. Les affects les plus extrêmes trouvent dans son art du chant tout ce dont les compositeurs de l’époque ont dû rêver. Un stupéfiant contrôle du souffle, un vibrato caractéristique (un peu comme le tintement d’un glaçon contre un verre de nectar), une agilité sans équivalent dans les coloratures, un sens du legato particulièrement sensible, caractérisent une voix au service exclusif de l’expression. Une voix qui sourit, qui pleure, qui enrage, qui maudit, une diction exceptionnelle ! Et puis le personnage séduit immédiatement par sa générosité chaleureuse.

Après une ouverture solennelle et vibrante de l’opéra Rinaldo, le récital toulousain s’ouvre sur le geste fulgurant que constitue l’air d’Armida, « Furie terribili ». Ces impressionnantes imprécations sont suivies de la dramatique scène du même ouvrage et de l’air de douleur et de fureur qui s’enchaîne. Contrastes saisissants qui ne cessent de surprendre et d’impressionner. C’est avec un sourire à faire fondre une banquise, que la cantatrice entonne l’aria d’Adelaide extraite du Lotario, « Scherza in mar ». Les airs essentiels de Cleopatra, du Giulio Cesare in Egitto, ouvrage majeur de Haendel dont Cecilia Bartoli ponctue son récital, brossent une sorte de tableau complet des couleurs expressives portées par le chant baroque. La bouleversante émotion de l’aria « Se pietà di me non senti », le charme enjôleur de « Venere bella », la nostalgie amoureuse de « V’adoro pupille » et le feu d’artifice de bonheur de « Da tempesta ».

Cecilia Bartoli en concert (Photo Jean-Michel Vinciguerra)

Dans l’air de fureur de Melissa « Desterò dall’empia Dite », extrait d’Amadigi di Gaula, la trompette virtuose de Thibaud Robinne et le hautbois volubile de Pier Luigi Fabretti accompagnent magnifiquement les imprécations de la belle. A l’opposé, le rêve pastoral de « Felicissima quest’alma », extrait de Apollo e Dafne est chanté sur fond de chants d’oiseaux. Enfin, la sublime douleur qui émane de l’air d’Alcina « Ah ! mio cor ! schernito sei », de l’opéra éponyme, ne saurait trouver interprète plus émouvante. A la reprise « da capo », le temps s’arrête et le public en entier retient son souffle…

Les intermèdes instrumentaux permettent d’apprécier la grande qualité de « La Scintilla » dirigée avec autorité et finesse par la violoniste Ada Pesch, petite taille mais grand talent ! Outre les belles ouvertures de Giulio Cesare in Egitto et de Il trionfo del Tempo e del Disinganno, de Haendel, ces musiciens aguerris offrent une étonnante ouverture de Nicolò Porpora, avec un duo de flûtes virtuoses, et l’ouverture n° 6 de Francesco Maria Veracini, agrémentée de deux joyeux hautbois.

Deux bis sont réclamés à grands cris par une salle debout. Les deux arias, le fameux et nostalgique « Lascia la spina » de Il trionfo del Tempo e del Disinganno, de Haendel,et l’époustouflant « Come Nave in mezzo all’onde », de Porpora, que chante enfin la belle Cecilia, ne calment que difficilement l’enthousiasme du public. L’album de compilations récemment publié et titré “Sospiri”, permettra à de nombreux mélomanes de prolonger leur bonheur. A bientôt pour de nouvelles aventures vocales !

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