Concerts

Du sourire à l’extase

Deux œuvres contrastées composaient le programme du dernier concert de l’Orchestre National du Capitole. Nielsen et Bruckner possèdent pourtant quelques points communs, notamment si l’on se limite au domaine symphonique. Mais le concerto pour flûte et orchestre du premier et la huitième symphonie du second ne témoignent ni des mêmes ambitions, ni des mêmes moyens d’expression. Et la complémentarité des deux partitions qui explorent des domaines musicaux si divers confère un intérêt particulier à cette belle soirée.

Le flûtiste Emmanuel Pahud dans le concerto pour flûte et orchestre de Nielsen, dirigé

par
Joseph Swensen
(Photo Classictoulouse)

Joseph Swensen, le chef invité de ce 8 juin, connaît bien la phalange toulousaine et les musiciens apprécient particulièrement sa direction. L’ovation qu’ils lui réservent en fin de concert en témoigne au plus haut degré. La gestique réservée, presque austère du chef américain peut surprendre. Elle n’en est pas moins efficace, précise et déterminée.

Le concerto pour flûte du Danois Carl Nielsen, qui ouvre la soirée, bénéficie à Toulouse du talent d’exception d’Emmanuel Pahud. Le flûtiste franco-suisse, nommé à l’âge de 22 ans flûte solo de la Philharmonie de Berlin, mène une carrière soliste de tout premier plan. Possédant une sonorité d’une incroyable richesse, une séduisante ductilité des phrasés, capable des plus extrêmes nuances dynamiques, Emmanuel Pahud déploie dans ce concerto un jeu d’une vitalité, d’une acuité de tous les instants. Ses premières interventions témoignent d’une projection sonore impressionnante. Son dialogue avec l’orchestre se fait d’égal à égal. Il faut dire que cette partition tardive de Nielsen possède un charme irrésistible. Fantasque dans l’écriture, imaginative dans l’expression, elle ménage de surprenantes confrontations entre la flûte solo et les instruments les plus inattendus de l’orchestre. Le piquant duo avec le premier violon, Malcolm Steward, réjouit par sa vivacité. Ceux qui associent la flûte et le trombone, puis la flûte et la timbale laissent pantois ! L’esprit le plus vif, la fantaisie la plus débridée imprègnent toute l’œuvre comme inspirée de l’impertinence d’un Francis Poulenc scandinave. Le soliste s’y investit avec bonheur, esquissant même quelques pas de danse… Justement acclamé par le public, Emmanuel Pahud joue en bis un Caprice du grand musicien baroque de la flûte Johann Joachim Quantz. Un retour au grand classicisme.

Joseph Swensen et l’Orchestre National du Capitole, à l’issue de l’exécution de la

8ème symphonie d’Anton Bruckner (Phoro Classictoulouse.com)

Avec la huitième symphonie d’Anton Bruckner, l’orchestre est confronté à la plus élaborée, la plus longue, la plus complexe des cathédrales mystiques de l’organiste de Saint-Florian. Comme toujours chez Bruckner, si la spiritualité est au cœur de l’œuvre, la jouissance sonore en constitue l’outil essentiel. La recherche de la parfaite fusion entre cuivres et cordes, du rôle spécifique des bois, de l’opportunité des interventions parcimonieusement dosées des percussions caractérisent un indéniable amour de l’orchestre. La progression du discours passe souvent par ces élans inassouvis qui ne trouvent leur aboutissement qu’à l’extrême fin.

Ce soir-là, l’Orchestre du Capitole brille de tous ses feux. Parfaitement maîtrisé par le chef, l’équilibre entre cordes et vents reste d’une belle perfection malgré l’incroyable dynamique requise par l’œuvre et totalement assumée par l’exécution. Aussi puissamment que jouent les cuivres, les timbres conservent leur richesse et ne saturent jamais l’écoute. Le pupitre des cors se taille la part du lion, passant sans hiatus des cors d’harmonie aux « tuben » wagnériens, à la sonorité si belle et si profonde. L’éclat des trompettes conserve sa rondeur, celui des trombones et du tuba sa générosité. Un grand bravo doit également être adressé aux bois, volubiles et bien timbrés, et bien entendu à l’ensemble des pupitres de cordes qui parviennent à préserver l’homogénéité sonore dans la spécificité de leurs timbres respectifs.

Dans l’Allegro moderato initial, la direction de Joseph Swensen reste d’une extrême rigueur. Elle s’anime d’une vitalité joyeuse dans le brillant Scherzo. L’Adagio, admirablement construit, n’est qu’une lente et émouvante ascension vers l’extase de son fortissimo. Le crescendo, imperceptiblement progressif, constitue le grand moment de cette soirée. Le final noté « Feierlich nicht schnell » (Solennel, sans précipitation) libère peu à peu les énergies jusqu’à l’irrésistible coda, comme un grand soupir poussé par toutes les voix de l’orchestre.

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