Le concert du 31 mars dernier de la saison Grands Interprètes accueillait le grand chef russe Valery Gergiev, un habitué de la Halle-aux-Grains, venu cette fois sans sa phalange du théâtre Kirov. Depuis peu, en effet, Valery Gergiev préside aux destinées du London Symphony Orchestra. C’est donc à la tête des brillants musiciens britanniques qu’il présentait un programme de musique franco-russe du début du 20ème siècle. Debussy et Stravinski constituent tous les deux des jalons fondamentaux de l’évolution du langage musical qu’il n’est pas si courant de faire dialoguer.
Sous la direction du chef russe, l’orchestre londonien éblouit par sa rutilance, sa virtuosité scintillante, son irréprochable précision. La clarté des timbres se révèle bien différente des sonorités sombres, noires parfois, des orchestres russes comme la Philharmonie de Saint-Pétersbourg.
Les « Symphonies pour instruments à vent » (pluriel bien singulier pour une œuvre aussi brève !), composées par Igor Stravinski en hommage à Claude Debussy peu après sa disparition en 1918, résonnent avec une verdeur implacable, une acuité perçante. Les bois et les cuivres du LSO déploient une intensité fervente qui évoque la sacralisation des chants orthodoxes.
Avec les trois esquisses symphoniques « La Mer », de Claude Debussy, la subtile clarté de l’orchestre évoque les jeux d’ombre et de lumière qui font la transparence de l’œuvre. Les contrastes dynamiques sont exacerbés dans un tempo retenu qui n’atténue en rien les arêtes vives de la partition.
Valery Gergiev aborde ensuite avec lucidité l’hédonisme sensuel du « Prélude à l’après-midi d’un faune » du même Debussy. Il en souligne les détails de l’orchestration, la limpidité, donnant du corps au rêve éveillé.
Avec « Le Sacre du Printemps », l’éblouissement sonore atteint son paroxysme. Comme à chaque exécution de cette œuvre emblématique, on reste sidéré devant son impact éternellement révolutionnaire, devant l’imagination qui a présidé à sa conception, devant son incroyable richesse rythmique et harmonique. Valery Gergiev réalise un équilibre idéal des pupitres, confère à la partition sa brillance unique. Quelques rubatos inattendus ralentissent les passages lents de la première partie, comme pour préparer les auditeurs aux déferlements de violence explosive qui ravagent le second volet, Le Sacrifice. Les sauvages éruptions volcaniques du final clouent définitivement le spectateur sur son fauteuil. Sacré Sacre !