Le titre de la dernière œuvre symphonique de Franz Liszt, « Du berceau à la tombe », illustre parfaitement le contenu du très beau concert donné le 19 mai dernier à la Halle-aux-Grains de Toulouse par l’ensemble vocal « Les Eléments » et l’Orchestre de Chambre de Toulouse, tous placés sous la direction de Joël Suhubiette. Coupler « Nativités » (le pluriel a toute son importance) ce vaste chœur a cappella de Patrick Burgan créé en 2005, avec le Requiem, laissé inachevé en 1791 par Mozart, constitue une très belle idée que les interprètes ont brillamment portée à son terme.
L’ensemble vocal Les Eléments
lors
de l’exécution de « Nativités »
de
Patrick Burgan
(@ Audrey Mompo)
Présenté avec simplicité et conviction par le compositeur lui-même, « Nativités », qui célèbre le miracle de la naissance d’un enfant, vient clore le triptyque marial destiné au chœur de chambre « Les Eléments », après le « Stabat Mater » et « Audi Coelum ». Cette pièce subtile et profonde, écrite pour 24 voix solistes, attribue à chacun des six pupitres de voix une langue différente. Ainsi les 4 sopranos chantent un poème italien du XVème siècle de Giovanni Dominici, les 4 mezzo-sopranos, un texte espagnol de chanson du XXème siècle d’Angela Figuera, les 4 altos, le « Stabat Mater speciosa » en latin, d’un anonyme du XIIIème siècle. L’anglais d’un poème de Milton (XVIIème siècle) est dévolu aux 4 ténors, le français d’un poème d’Alfred de Vigny (XIXème siècle), aux 4 barytons et enfin l’allemand d’un hymne à la nuit d’Andreas Gryphius (XVIIème siècle) aux 4 basses.
Outre le fort symbole qu’il souligne, cet étrange mélange des langues procure à l’œuvre l’essence même de sa sonorité, de sa musique même. Les vagues successives de ces voix très caractérisées évoquent pour l’auditeur comme une houle mouvante et hypnotique. On ne peut pas ne pas évoquer à ce propos une filiation avec certains grands motets de la renaissance comme ce superbe « Spem in allium » écrit pour 40 voix par Thomas Tallis ou même certaines pièces pour voix de György Ligeti, comme son « Lux Æterna ». Les difficultés d’intonation et de rythme de « Nativités » sont brillamment surmontées par les interprètes, parmi lesquelles il faut tout spécialement féliciter la soprano colorature solo pour sa performance vocale.
Le contraste n’est certes pas mince avec la musique de Mozart qui suit. Mais l’esprit reste proche. Le Requiem est joué ici dans sa version complétée par Franz Xavier Süssmayer, l’élève du compositeur. L’Orchestre de Chambre de Toulouse apporte ici la finesse de ses sonorités que Joël Suhubiette mêle avec art à la couleur de son ensemble vocal. Le chef obtient de ces voix de subtiles nuances qui animent le texte et lui apportent un supplément d’âme. Ainsi en est-il de ce léger decrescendo émouvant sur le terme « luceat » de l’Introïtus.
Le Choeur de chambre Les Eléments, l’Orchestre de Chambre de Toulouse, et les solistes du Requiem de Mozart sous la direction de Joël Suhubiette
(@ Brice Devos)
Les quatre solistes trouvent le ton juste, à la frontière entre la déclamation lyrique et la sobriété que réclame cette musique de l’esprit. La beauté vocale de la soprano, Aurélia Legay, illumine ses interventions de son timbre plein et dense qu’elle allège avec subtilité. La mezzo-soprano Delphine Haidan, aux couleurs sombres et graves, le ténor Raphaël Bremard, voix claire et style irréprochable, la basse solide et sobrement expressive Alain Buet complètent un quatuor d’une grande qualité.
L’accueil enthousiaste que reçoit cette belle exécution obtient une nouvelle exécution du Lux Æterna que les interprètes offrent généreusement au public.