Trois instrumentistes et une cantatrice ont animé avec ferveur le troisième concert de la saison de musique de chambre des Clefs de Saint-Pierre, le tout premier de la nouvelle année. Ce 9 janvier 2023 a été l’occasion d’explorer un répertoire rare et nouveau, hors des sentiers battus avec cette volonté louable de susciter des découvertes.
Cette soirée réunissait trois musiciens bien connus des habitués des institutions nationales de la ville rose, le clarinettiste solo David Minetti et l’altiste solo Bruno Dubarry, membres éminents de l’Orchestre national du Capitole et le pianiste Christophe Larrieu, assistant-chef d’orchestre au Théâtre du Capitole depuis 1997. La mezzo-soprano Cristelle Gouffé est venue les rejoindre dans ce programme qui mêle pièces instrumentales et vocales. Native de Montauban, Cristelle Gouffé a effectué ses études de chant au Conservatoire à Rayonnement Régional de Toulouse dans la classe d’Anne Fondeville. Elle a obtenu son prix de chant en 2013.
Une belle cohésion, une vitalité toujours renouvelée n’ont cessé d’animer les débats musicaux de ce programme original et riche en découvertes. Cette soirée s’ouvre sur l’œuvre d’un compositeur rare au concert, dont on donne parfois le premier Concerto pour violon et orchestre, l’Allemand Max Bruch pourtant très prolifique. Les musiciens jouent ce soir-là les quatre premières de ses Huit pièces opus 83, illuminées par le lyrisme de l’écriture du compositeur. Tour à tour profondes, intenses, passionnées ou intimes, ces pièces suscitent le dialogue instrumental que les musiciens soutiennent avec un authentique talent chambriste. De la nostalgie à l’inquiétude le spectre des expressions se nourrit de beaux phrasés et de combinaisons instrumentales originales. Ainsi quelques passages de l’Andante con moto, joués à l’unisson par la clarinette et l’alto, suggèrent un instrument nouveau, une sorte de synthèse des deux sonorités. La virtuosité et l’extrême musicalité des interprètes conduisent à un admirable déploiement de nuances et de phrasés.
Avec les Six lieder pour mezzo-soprano, clarinette et piano de Louis Spohr, la cantatrice Cristelle Gouffé mêle son autorité et sa science musicale aux deux instruments favoris du compositeur. Considéré par ses contemporains comme l’égal de Haydn, Mozart et Beethoven, l’Allemand Louis Spohr a subi l’épreuve de temps et un relatif oubli de la postérité. Ces six lieder prennent la forme d’un duo entre la voix et la clarinette qui rivalisent de virtuosité et de finesse. La richesse du timbre de Cristelle Gouffé, sa projection vocale, sa parfaite diction font ici merveille. Souriantes ou nostalgiques, ces mélodies culminent dans la tendresse de Wiegenlied (Berceuse).
L’épisode suivant est consacré à un compositeur vivant et important, le Hongrois György Kurtág. Son Hommage à R. Schumann, pour clarinette, alto et piano (ainsi que la participation épisodique d’une grosse caisse activée en conclusion par David Minetti !) bénéficie d’une présentation pédagogique et particulièrement bienvenue de Bruno Dubarry. Parmi les six pièces qui composent cet hommage, certaines durent quelques secondes, la dernière, la plus longue, atteignant à peine les deux minutes ! C’est dire à quel point la concentration expressive est de mise. Et ce minimalisme fonctionne grâce en particulier à l’implication subtile des interprètes ! Les allusions à l’œuvre de Schumann épicent toute l’œuvre, des portraits imaginés par Schumann des deux personnages fictifs que sont le rêveur Eusebius et le dynamique Florestan, aux citations directes comme celle des Scènes de la forêt dans le final Abschied (adieu) !
Du seul compositeur célèbre de ce programme, Johannes Brahms, Cristelle Gouffé chante ensuite les sublimes Zwei Gesänge opus 91 pour voix d’alto, alto et piano. La voix se fait instrument, l’instrument devient vocal. L’art du chant de la mezzo-soprano se mêle aux beaux phrasés de l’alto de Bruno Dubarry, grâce au soutien chaleureux et subtil du piano de Christophe Larrieu, expert en la matière. De la profonde nostalgie de Gestillte Sehnsucht à la tendresse de Geistlisches Wiegenlied (une nouvelle berceuse), l’esprit poétique flotte dans l’air…
Changement total d’atmosphère avec le final en forme de medley, né de l’imagination fertile de Christophe Larrieu ! Il s’agit là d’une succession de mélodies de Kurt Weill qui retrace le voyage du compositeur obligé de quitter son Allemagne natale et de se rendre aux Etats-Unis en passant par la France, afin de fuir l’avancée du nazisme. Cristelle Gouffé prend là l’allure, la gouaille, la voix d’une chanteuse de cabaret, avec toute la finesse de son art du chant. Les quatre interprètes complices picorent dans l’œuvre du compositeur les passages les plus significatifs. De L’Opéra de 4 sous (version instrumentale) et de Berlin im Licht, les trois musiciens et la cantatrice font escale à Paris avec La Complainte de la Seine et Je ne t’aime pas (sur des paroles de Maurice Magre). L’arrivée en Amérique se fait sur My Ship (parole d’Ira Gershwin) et sur Buddy on the Nightshift (Oscar Hammerstein). Avec une aisance incroyable Cristelle Gouffé effectue ce parcours lumineux sans partition. Bravo l’artiste qui doit reprendre ce final afin de satisfaire un public enthousiaste !
Ouverture et exigence étaient au rendez-vous de cette troisième soirée des Clefs de Saint-Pierre.
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 9 janvier 2023 à 20 h à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines
- Max Bruch (1838-1920) : Trio op. 83 pour clarinette, alto et piano
- Louis Spohr (1784-1859) : Six lieder pour mezzo, clarinette et piano op. 103
- György Kurtág (1926-) : Hommage à Robert Schumann pour clarinette, alto et piano op. 15d
- Johannes Brahms (1833-1897) : Zwei Gesänge pour mezzo-soprano alto et piano op. 91
- Kurt Weill (1900-1950) : Medley (arr. C. Larrieu)