Concerts

Dialogue au sommet

L’idée pouvait paraître un peu folle. Faire cohabiter des musiques que séparent quatre siècles d’évolution, cela tenait vraiment du challenge. Et pourtant c’est bien ce que Les Sacqueboutiers ont tenté et réussi avec panache, le 20 novembre dernier, à l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines, avec la participation du quintette de jazz réuni autour de Philippe Léogé.

“Les Sacqueboutiers” et les Jazzmen en plein dialogue – (Photo Classictoulouse)

Jazz et Pavane semblent a priori développer des styles, des sonorités, des pratiques instrumentales bien éloignés. Jean-Pierre Canihac, fondateur et co-directeur musical des Sacqueboutiers, n’a pas eu de mal, ce soir-là, à convaincre du contraire. La chaîne subtile mais solide qui relie la musique de la Renaissance au Jazz a pour nom « improvisation » ! Appelée ornementation ou diminution, pour la première, l’improvisation constitue la sève créatrice du Jazz. Alors pourquoi ne pas mêler les deux et demander aux jazzmen leurs commentaires musicaux sur les « standards » de la musique ancienne ? Le grand jazzman Philippe Léogé a alors conçu une série de grilles d’improvisation basées sur les motifs issus du très riche monde de la musique ancienne. Chaque pièce interprétée naît ainsi d’un original, joué par les musiciens de l’ensemble Les Sacqueboutiers, Jean-Pierre Canihac, cornet à bouquin, Daniel Lassalle, sacqueboute, Yasuko Uyama-Bouvard, orgue et clavecin, et Florent Tisseyre, percussions, tous experts en matière de musique ancienne et en particulier en ornementation dans le style renaissance. Le relai est alors pris par Philippe Léogé au piano et ses compères, tous virtuoses impressionnants dans leur domaine : Claude Egéa, trompette, Denis Leloup, trombone, Jean-Pierre Barreda, contrebasse et Fabien Tournier, batterie et percussions.

L’ensemble des musiciens au salut. De gauche à droite : Yasuko Uyama-Bouvard

(clavecin et orgue), Jean-Pierre Canihac (cornet à bouquin), Florent Tisseyre (percussion), Daniel Lassalle (sacqueboute), Jean-Pierre Barreda (contrebasse), Fabien Tournier (batterie), Denis Leloup (trombone), Philippe Léogé (piano), Claude Egéa (trompette)

Comme un hymne à la liberté du jeu musical, la fusion des deux mondes s’avère particulièrement jubilatoire. Une étonnante « Bombarde », Credo de la messe du manuscrit d’Apt, datant du XIVème siècle, ouvre la séance sur une sorte de musique d’avant-garde, truffée de contretemps, de hoquets, sur des harmonies pleines d’audace que les jazzmen triturent avec délice ! Une série de duos instrumentaux paraphrasent ensuite les fameuses « Ricercadas » de l’Espagnol Diego Ortiz, actif en plein XVIème siècle. Tour à tour, sacqueboute et trombone, cornet et trompette, puis cornet et sacqueboute, et enfin trompette et trombone, échangent et accordent leurs humeurs. Diminutions et improvisations délirent avec nostalgie sur le villancico de Juan Vasquez « Con que la lavaré ». Instruments anciens et modernes conjuguent leurs sonorités complémentaires avec gourmandise.

Le duo clavecin-piano (avec intervention de l’orgue) convient parfaitement à la stupéfiante « Toccata settima » de Michelangelo Rossi dont Yasuko Uyuama-Bouvard s’est faite une spécialité. Son chromatisme exacerbé donne à Philippe Léogé les outils d’une improvisation débridée. Débridé aussi, le duo entre le cornet et la trompette de « Su la Cetra amorosa », de Tarquinio Merula, l’est assurément ! Comme une dispute entre les deux instruments que l’emballement ébouriffant de la batterie finit par calmer…

Après les très belles improvisations sur la passacaille et la ciaccona d’Andrea Falconiero, tous les musiciens se retrouvent autour de la célèbre ensalada intitulée « El Fuego », de Mateo Flecha, l’un des tubes incontournables des Sacqueboutiers. Les instruments miment les voix dans un jeu éblouissant de questions-réponses.

Le bonheur avec lequel les musiciens communient dans la même joie d’échanger est communicatif. Un grand bravo à tous avec une mention spéciale à Philippe Léogé pour ses arrangements subtils et magnifiquement musicaux ! A coup sûr, Claude Nougaro, l’inventeur du mélange « Le Jazz et la Java », aurait apprécié cet autre mariage baptisé par les musiciens « Le Jazz et la Pavane »…

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