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De Ravel à Saint-Saëns, toutes les couleurs

C’est effectivement sous un éblouissant déploiement de couleurs que l’Orchestre du Capitole et son directeur musical Tugan Sokhiev, offraient un programme de musique française, les 8 et 9 avril derniers à la Halle aux Grains. Ce répertoire reste le jardin familier de la formation toulousaine. Tugan Sokhiev lui confère en outre l’élan généreux de sa personnalité et un relief saisissant.

La fluidité scintillante du Prélude du « Tombeau de Couperin » ouvre le concert sur cet hommage de Maurice Ravel au grand classicisme à la française. Incisifs et subtils, les traits des bois comme ceux des cordes animent brillamment le discours. A l’élégance un rien amidonnée de la Forlane succède la nostalgie poétique du Menuet dans laquelle s’épanche joliment le hautbois champêtre et brillant de Christian Fougeroux, particulièrement sollicité ce soir-là. L’éclatant Rigaudon conclut la suite dans un tourbillon de confettis et serpentins…

Le pianiste Nicholas Angelich, soliste du 5ème concerto de Saint-Saëns dirigé par Tugan Sokhiev (Photo Classictoulouse)

Avec le cinquième et dernier concerto pour piano et orchestre de Camille Saint-Saëns, le grand pianiste, né aux Etats-Unis mais imprégné de culture française, Nicholas Angelich aborde un répertoire trop longtemps taxé d’« académisme » primaire. Lorsque les interprètes se livrent avec l’intensité et la musicalité des musiciens de cette soirée du 9 avril, les préjugés disparaissent immédiatement. Baptisé « L’Egyptien » en souvenir d’un voyage du compositeur à Louxor, la partition assimile certains modes et rythmes orientaux qui lui confèrent un parfum d’exotisme parfaitement assimilé. Les doigts et l’intelligence de Nicholas Angelich marient avec conviction la grande virtuosité de l’écriture (Saint-Saëns était lui-même célèbre pour son extraordinaire technique pianistique) mais aussi la profondeur de l’expression. Sa sonorité, intense mais toujours d’une lumineuse clarté, révèle la grande science d’un jeu qui par moments évoque la polyphonie d’un Brahms ou le lyrisme chaleureux d’un Rachmaninov. Les orientalismes de l’Andante, le parfum « jazzy » du final sont intelligemment intégrés au discours général, avec un naturel confondant. Le dialogue avec l’orchestre se situe au plus haut niveau. Tugan Sokhiev et Nicholas Angelich parlent le même langage, échangent les motifs, se complètent sans la moindre tentation hégémonique. L’éblouissant final provoque à juste titre une ovation du public qui obtient ainsi de la part du soliste deux bis d’un calme immatériel. Une Mazurka de Chopin et l’immortelle « Traümerei » (Rêverie), extraite des « Scènes d’Enfants » de Schumann, témoignent de l’art de la concentration de Nicholas Angelich.

Tugan Sokhiev dirigeant la 3ème symphonie avec orgue de Saint-Saëns, avec comme soliste l’organiste Michel Bouvard (Photo Classictoulouse)

La 3ème symphonie avec orgue, également de Saint-Saëns, qui signe le renouveau de la forme symphonique dans la musique française de la fin du 19ème siècle, conclut la soirée. Tugan Sokhiev l’approche avec le même esprit, la même intensité qu’il met à diriger Beethoven, Brahms ou… César Franck (notamment sa symphonie en ré mineur). Après une introduction pleine de mystère et d’attente, la fébrilité de l’Allegro moderato gagne tous les pupitres. Le Poco adagio oppose les atmosphères et le Scherzo, pris dans un tempo vertigineux est plein d’une détermination implacable. L’éclatant accord d’orgue qui ouvre le Finale marque le départ d’une impressionnante course à l’abîme. La difficulté de cette association entre l’orchestre et l’instrument-roi se traduit par un choix qui doit être fait. Soit, et c’est évidemment la meilleure solution, la salle de concert est équipée d’un instrument symphonique de qualité, soit l’orchestre joue dans une église pourvue d’un grand orgue, et les riches détails de l’orchestration pâtissent de l’acoustique réverbérée. L’absence d’orgue de la Halle aux Grains a conduit Tugan Sokhiev et Michel Bouvard à choisir une troisième solution qui consiste à utiliser un orgue numérique (et non électronique) « paramétré » à partir d’un instrument existant, en l’occurrence le Cavaillé-Coll de l’Abbaye aux Homme de Caen. Si les sonorités ainsi restituées surprennent par une certaine sécheresse, le jeu de Michel Bouvard s’intègre à merveille dans la trame orchestrale. On ne saurait s’en étonner connaissant les qualités d’un artiste dévoué corps et âme à la cause et à la pratique de l’orgue… Ainsi mené, le fulgurant final de la symphonie exalte au plus haut degré la palette des couleurs d’un orchestre porté à incandescence.

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