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De la Terre au Paradis

Le concert du 11 janvier de l’Orchestre national du Capitole accueillait la jeune et séduisante pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili, une artiste étonnante à l’énergie communicative. Sous la direction de Tugan Sokhiev, la première partie de soirée était consacrée à Edvard Grieg, le chantre des terres scandinaves alors que la seconde portait à son apogée céleste le chef-d’œuvre du « ménestrel de Dieu », Anton Bruckner, sa septième symphonie en mi majeur.
A côté d’une multitude de petites pièces pour piano, Grieg a connu la célébrité grâce à deux grandes partitions orchestrales, sa musique de scène pour la pièce du dramaturge, norvégien comme lui, Henrik Ibsen, Peer Gynt, et son unique et flamboyant concerto pour piano et orchestre en la mineur. Ces deux œuvres majeures ouvraient la soirée du 11 janvier.

Extraites de Peer Gynt, trois pièces de la première suite débutent ce très copieux concert. L’atmosphère pastorale du premier volet, Au matin, émeut par la poésie des timbres, les couleurs pastel de cette évocation dans laquelle domine la flûte, évocation que Grieg lui-même peignait en ces termes : « J’imagine le soleil qui perce les nuages au premier forte. » La beauté des cordes, douces comme de la soie, le babil des bois, la lumière des cuivres brossent un paysage musical chaleureusement authentique. La dentelle mousseuse de la Danse d’Anitra ouvre ensuite la voie au grand crescendo de Dans le hall du roi de la montagne. Scandée par les bassons, pétillants d’ironie, cette marche implacable construit un chemin qui mène à l’éclat final, éblouissant de lumière. On est tout heureux de constater que le pillage de ces pièces par la pub télévisée ne parvient pas à en émousser le pouvoir évocateur !

La jeune pianiste géorgienne Khatia Buniatishvili
lors de son interprétaion du concerto pour piano et orchestre de Grieg – Photo Classictoulouse –

L’arrivée sur le plateau de la Halle aux Grains de la jeune et brillante pianiste géorgienne Khatia Buniatichvili fait sensation. Sa beauté sculpturale de brune Marilyn charme d’abord. Puis son investissement total, la fantaisie de son jeu, l’imagination qu’elle déploie dans l’unique concerto de Grieg impressionnent. Le puissant motif descendant qui marque son entrée en scène musicale impose magistralement la soliste. Dialoguant d’égal égal avec un orchestre riche et mobile, elle multiplie les contrastes expressifs. Presque alangui par instants, son jeu délivre une stupéfiante cadence de ce premier volet, de la confidence à peine murmurée à une explosion de virtuosité digne des plus grands. La profonde poésie pastorale de l’Adagio enrichit les échanges presque amoureux entre la fluidité du piano et un orchestre transparent mais toujours actif. Le tempérament plein d’énergie et de vigueur de la pianiste trouve dans le final un terrain de prédilection. La danse s’y déploie sans contrainte jusqu’à l’exaltation de la coda. Le bonheur sans partage !

Le succès que lui attire cette interprétation amène la soliste à offrir deux bis très différents : une courte pièce lyrique d’Edvard Grieg et un mouvement délirant de rythme et de virtuosité motorique de Serge Prokofiev. De quoi enflammer encore le public conquis.

L’Orchestre national du Capitole, dans sa formation pour la 7ème symphonie de Bruckner, et Tugan Sokhiev – Photo Classictoulouse –

Toute la seconde partie de soirée est consacrée à l’une des « cathédrales sonores » les plus accomplies d’Anton Bruckner, sa septième symphonie. Le compositeur-organiste y épanche sa foi avec ferveur et sincérité. L’Orchestre national du Capitole confirme ici les impressionnantes qualités de virtuosité, de cohésion, de précision, d’ampleur et d’équilibre sonore qui sont devenues les siennes et qui magnifient ses interprétations, même si, pour l’ampleur de cette partition, la sécheresse acoustique de la Halle aux Grains ne représente pas l’idéal.

Dirigée avec une attention de chaque instant et une ardeur tenace par Tugan Sokhiev, cette somptueuse symphonie ménage des moments d’éternité à couper le souffle. A commencer par ce thème fondamental, ascendant comme une quête vers la lumière divine, qui émerge du trémolo frémissant des cordes, baptisé Urnebel, autrement dit « brouillard des origines ». Une atmosphère de Parsifal habite tout cet Allegro moderato initial dans lequel le temps est suspendu.

Le cœur de l’œuvre reste indéniablement l’Adagio, Sehr feierlich und sehr langsam (Très solennel et très lent). Cette ode funèbre à Wagner concentre toute l’émotion possible. La disparition du maître de Bayreuth, qui intervient pendant la composition de ce mouvement, affecte si profondément Bruckner que tout ce mouvement lui est dédié. Les fameux Wagner-tuben, ces instruments hybrides sortes de cors redessinés sous forme de tuba par Wagner pour sa Tétralogie, y trouvent tout naturellement leur place. Ce sont ces quatre tuben qui ouvrent l’Adagio sur un choral profond et terrible, qu’ils renouvellent tout au long de cette prière, comme un souvenir obsessionnel. Le grand crescendo qui se conclut sur l’unique coup de cymbale de toute l’œuvre (facultatif d’ailleurs suivant l’édition considérée) donne le frisson !

Les quatre musiciens jouant les Wagner-tuben dans la 7ème symphonie de Bruckner

– Photo Classictoulouse –

Après une telle tension, il fallait la détente du Scherzo : Sehr schnell (Très vite). Le chant de ce coq qui éveillait Bruckner tous les matins à l’abbaye de Saint-Florian ponctue à la trompette tout ce mouvement que dirige Tugan Sokhiev avec une joyeuse impertinence. Et c’est enfin le retour cyclique du thème initial de toute la symphonie dans le Finale. Là encore la mémoire joue son rôle. Un impressionnant choral de tuben interrompt les développements orchestraux cyclothymiques jusqu’au crescendo final, là encore pris de très loin, qui nous élève jusqu’à ce paradis de lumière qui n’a cessé de fasciner Bruckner.

On a du mal à émerger d’un tel maelstrom orchestral si magnifiquement organisé. Le public ne s’y trompe pas qui fait un triomphe à chaque pupitre que Tugan Sokhiev fait lever. Il faudrait tous les citer, avec une mention spéciale, tout de même, pour les quatre cornistes devenus « Wagner-tubistes » pour les besoins de cette symphonie et pour le « Konzertmeister » de la soirée, le premier violon solo, Daniel Rossignol. Même visiblement éprouvés par la succession de deux concerts avec le même programme (dont la veille, la brillante soirée AIDA), les musiciens rendent un hommage chaleureux à leur chef.

Signalons que ce concert, diffusé le soir même en direct sur Radio Classique et Arte Live Web, a été enregistré par les chaînes Mezzo et Arte au cours du concert AIDA du 10 janvier. De quoi retrouver les émotions du direct ou de les découvrir.

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