Le 21 janvier, l’Orchestre national du Capitole recevait pour la première fois le chef hongrois Gergely Madaras et retrouvait la grande violoniste d’origine russe Viktoria Mullova. Un programme de musiques du XXème siècle aux accents d’Europe de l’Est permettait aux interprètes invités de s’exprimer pleinement dans leur arbre généalogique.
Né à Budapest en 1984, Gergely Madaras occupe actuellement les fonctions de Directeur musical de l’Orchestre Philharmonique Royal de Liège tout en apparaissant souvent comme chef invité de grands orchestres du monde. Ce 21 janvier, à la tête de l’Orchestre national du Capitole, il déploie une énergie impressionnante. Très attentif aux équilibres sonores, il obtient des musiciens une belle cohésion et un engagement remarquable.
Ce concert s’ouvre sur une courte et rare pièce du compositeur hongrois Ernö Dohnányi, intitulée Symphonic Minutes ou Minutes symphoniques. Les cinq mouvements de cette belle œuvre pleine d’humour, d’invention harmonique et mélodique permettent l’épanouissement lumineux de rythmes et de sonorités originales. Du brillant et vif Capriccio initial à l’effervescence du Rondo final, l’écriture musicale témoigne d’une vivacité et d’une science indéniablement liées au terreau musical et populaire hongrois. C’est en particulier le cas de la Rapsodie luxuriante et le rôle important qu’elle donne aux pupitres de bois. On admire en particulier les beaux solos de cor anglais de Gabrielle Zaneboni, experte en la matière. Une belle découverte à mettre au crédit d’un chef passionné et imaginatif.
Viktoria Mullova est ensuite la soliste du Concerto n° 2 pour violon et orchestre de Sergueï Prokofiev, l’enfant terrible de la musique russe du XXème siècle. Lauréate des concours Wieniawski (1976), Sibelius (1980) et surtout du prestigieux concours Tchaïkovski de Moscou en 1982, Viktoria Mullova mène une carrière internationale prestigieuse. Elle s’intéresse à tous les répertoires, de la musique baroque et classique jusqu’aux influences les plus contemporaines du monde de la musique expérimentale.
La grande violoniste excelle dans le répertoire de musique russe dont elle offrait déjà aux Toulousains, en novembre 2013, un exemple caractéristique avec une mémorable interprétation du Concerto n° 1 de Dmitri Chostakovitch.
Ce 21 janvier, elle aborde l’Allegro moderato du Concerto n° 2 de Prokofiev comme on se livre à de touchantes confidences, d’une profonde intériorité. Les premières mesures a cappella du violon, d’une impressionnante pureté sonore, suscitent immédiatement l’émotion. Les alternances d’exaltation et de lyrisme animent tout l’Allegro moderato initial. Le jeu de Viktoria Mullova s’appuie sur le legato subtil de son phrasé. Sous son archet, l’Andante assai exprime une authentique douleur qui va de la tendresse au murmure dans une série d’échanges mystérieux entre violon et orchestre. Le final, Allegro ben marcato, retrouve le Prokofiev mordant et acéré. Le rythme, sorte de valse sardonique, est scandé par une grosse caisse inquiétante et même des castagnettes, sorte de clin d’œil inattendu à la ville de création de ce concerto, Madrid ! Tout au long de cette exécution, on admire le bel équilibre sonore que le chef établit entre le violon et l’orchestre. Jamais les tutti ne submergent les interventions stratégiques de la soliste.
Un bis apaisant vient prolonger cette première partie. Viktoria Mullova joue, avec une intériorité émouvante, le bel Andante de la Sonate n° 2 pour violon seul de Johann Sebastian Bach. Un moment hors du temps !
La seconde partie de la soirée est consacrée à l’œuvre symphonique la plus célèbre de Béla Bartók, son Concerto pour orchestre. On se souvient que cette flamboyante partition fut l’objet d’une commande de Serge Koussevitzky pour le Boston Symphony Orchestra. Le compositeur hongrois, alors malade et en proie à des difficultés diverses, réalisa alors ce que son commanditaire qualifia de « La meilleure pièce orchestrale des 25 dernières années ».
Bartók caractérisa ainsi son œuvre : « L’atmosphère générale de l’ouvrage – mis à part le deuxième mouvement – présente une graduelle progression allant de l’austérité du premier mouvement et du lugubre chant de mort du troisième vers l’affirmation de la vitalité du dernier… »
C’est bien ainsi que Gergely Madaras conçoit et dirige cette géniale partition. Dès l’Introduzione, la progression de l’angoisse vers l’action impressionne. On admire la série des duos d’instruments solistes qui animent le Giuoco delle coppie (Jeu de couples). Les musiciens de l’orchestre, des bassons aux trompettes, en passant par les hautbois, les clarinettes et les flûtes y atteignent un niveau instrumental et musical éblouissant !
L’Elegia sonne bien ici comme ce chant nocturne d’une bouleversante intensité tragique souhaité par le compositeur. La rupture avec l’Intermezzo interrotto, avec sa citation inattendue et involontaire, comme empruntée à La Veuve Joyeuse, n’en est que plus forte.
Gergely Madaras dirige l’éblouissant Finale avec cette vitalité et cette flamboyance orchestrale que souhaitait le compositeur. La virtuosité des cordes le dispute à celle des vents dans un équilibre sonore toujours respecté.
Une belle ovation salue cette exécution magistrale à l’issue de laquelle le chef rend hommage à chaque soliste, chaque pupitre d’un orchestre visiblement en pleine forme !
Serge Chauzy
Programme du concert donné le 21 janvier 2022 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse
- E. Dohnányi : Symphonic Minutes
- S. Prokofiev : Concerto n° 2 pour violon et orchestra
- B. Bartók : Concerto pour orchestre