Concerts

Complicité musicale

Une double complicité émane de ce concert du 15 avril dernier. L’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, son directeur musical Yannick Nézet-Séguin et la jeune violoniste Lisa Batiashvili étaient les invités de la saison Grands Interprètes. Opposant la grandeur sensible de Beethoven et la rutilance orchestrale de Rimski-Korsakov, ils ont approfondi les liens qui les rassemblent tout en établissant une généreuse communication avec un public enthousiaste.

La violoniste géorgienne Lisa Batiashvili, soliste du concerto de Beethoven.

Yannick Nézet-Séguin est à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam

– Photo Classictoulouse –

La venue à Toulouse de la phalange néerlandaise suit la série de deux concerts qu’elle avait présentée à la Halle aux Grains au cours de la saison dernière. Le public toulousain retrouve donc avec plaisir cet orchestre brillant, énergique, capable de développer une dynamique impressionnante. Il renoue également avec la générosité musicale sans limite de Yannick Nézet-Séguin, devenu depuis une dizaine d’année un familier de la Ville rose dont il avoue avec sincérité que son public et sa Halle lui sont devenus chers. Déjà associée au chef québécois en 2009 (mais cette fois avec le Chamber Orchestra of Europe), la jeune et belle Lisa Batiashvili avait également joué à Toulouse le concerto pour violon de Beethoven qui ouvre ce concert du 15 avril. L’ampleur de sa sonorité s’est encore affirmée, le choix des phrasés mêle l’élégance de la grande ligne au souci du détail. Sa large palette de nuances trouve avec l’orchestre un équilibre idéal. Jamais l’accompagnement ne submerge la soliste, tout en lui assurant un soutien de tous les instants. Un véritable dialogue s’établit entre les deux partenaires. Dans la longue introduction orchestrale qui prépare l’entrée du violon, le chef instille une part de mystère grâce au choix de nuances d’une grande subtilité. Après les affirmations péremptoires de l’Allegro ma non troppo, le Larghetto déploie sa rêverie onirique avant l’arrivée du fameux thème rebondissant du Rondo final. Là encore quel admirable équilibre, à la fois sonore et expressif, entre la soliste et l’orchestre ! Et puis Lisa Batiashvili ose rompre la tradition des cadences signées Fritz Kreisler, d’ailleurs jouées par la violoniste lors de son concert toulousain de 2009. En lieu et place de ces moments de solitude instrumentale, elle introduit les deux partitions écrites, à la fin des années soixante-dix, par le compositeur soviétique Alfred Schnittke à l’intention du violoniste Mark Lubotsky. L’intrusion de ces « délires » d’aujourd’hui crée une rupture stylistique passionnante. Dans la cadence du premier mouvement, Schnittke nourrit le puzzle de motifs issus d’autres œuvres de Beethoven, comme sa Septième symphonie. Il y associe la timbale, une pratique que Beethoven a d’ailleurs lui-même utilisée dans sa propre transcription pour piano de ce concerto. Schnittke va même plus loin, puisqu’il ajoute des parties de cordes dans la deuxième cadence, parcourue par les thèmes du premier mouvement. Lisa Batiashvili assume avec panache ce spectaculaire écart stylistique, impertinent et salutaire à la fois.

Yannick Nézet-Séguin et l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam à l’issue du concert

– Photo Classictoulouse –

Le succès que lui vaut son interprétation amène la violoniste à offrir un bis, là encore inhabituel, puisqu’il implique un accompagnement orchestral. Il s’agit d’une très nostalgique mélodie traditionnelle géorgienne transcrite par le compositeur, compatriote de la violoniste, Sulkhan Tsintsadze.

La seconde partie de la soirée s’ouvre sur la grand-voile du vaisseau de Sindbad le marin. La suite symphonique Schéhérazade, de Nikolaï Rimski-Korsakov, déploie tous les sortilèges des contes des Mille et Une Nuits grâce à la munificence d’une orchestration débordante de couleurs, de rythmes et de contrastes. Yannick Nézet-Séguin amène son orchestre à puiser dans ses impressionnantes ressources dynamiques et dans son incroyable palette de couleurs, quitte à déborder des limites ordonnées de la partition dans la première partie de l’œuvre. Dès le Récit du Prince Kalender, le jeu instrumental se discipline et s’organise avec plus de rigueur. On peut alors admirer les diverses interventions solistes, notamment celles, magnifiques d’intensité, du basson, de la flûte (on reconnaît bien là le jeu splendide de Juliette Hurel), du violoncelle et de tous les pupitres sollicités. La palme revient évidemment au violon solo, Igor Gruppman, dans le « rôle » de Schéhérazade, la conteuse imaginative. Sa péroraison, toute de finesse et de sensibilité, constitue une tendre incitation au silence final.

Un nouveau bis permet, comme l’annonce Yannick Nézet-Séguin lui-même, d’apaiser la violence de la tempête déchaînée à la fin de Schéhérazade. La complicité joue jusqu’aux dernières mesures de ce poétique prélude de La Khovantchina de Modest Moussorgski.

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