Concerts

Claviers en dialogue

Le 15ème festival Toulouse les Orgues recevait, le 15 octobre dernier en l’église Saint-Aubin, l’orchestre « Les Passions » qui donnait à cette occasion le premier concert de sa saison toulousaine. Sous la direction de Jean-Marc Andrieu, l’ensemble à cordes s’adjoignait deux flûtistes (jouant du traverso) et deux cornistes (aux cors naturels) pour accompagner deux des grands « claviéristes » de la ville rose, Willem Jansen, le talentueux directeur artistique du festival, et Yasuko Uyama-Bouvard, l’incontournable compagne des grands ensembles d’instruments anciens de la région, des « Sacqueboutiers » aux « éléments », en passant par « Les Passions ».

Willem Jansen, au clavecin, Yasuko Uyama-Bouvard, au pianoforte et Jean-Marc Andrieu à la tête de l’orchestre “Les Passions” lors du 15ème festival Toulouse les Orgues

(Photo Classictoulouse)

Bien que consacré à Bach (père et fils) et à Mozart, le programme de la soirée explore des terres peu fréquentées. Le concerto pour clavecin et cordes en ré majeur BWV 1054, qui ouvre la soirée, constitue néanmoins l’une des plus célèbres de ces pièces dans lesquelles Johann Sebastian Bach développe son incomparable savoir-faire polyphonique et concertant. Dans cette transcription pour clavier d’un des plus célèbres concertos pour violon du compositeur, l’orchestre Les Passions, dirigé avec une subtile précision par Jean-Marc Andrieu, offre une réplique vive et acérée au clavecin plein de panache de Willem Jansen. Les échanges avancent toujours dans la ferveur.

Nettement plus rare est le double concerto pour clavecin et pianoforte de Carl Philipp Emanuel Bach qui suit. Œuvre charnière pour l’évolution du clavier concertant, cette partition étonnante de 1788 ouvre le dialogue entre l’ancien et le moderne, entre le traditionnel clavecin et le nouveau pianoforte. Les flûtes et les cors qui étoffent l’ensemble à cordes mêlent leur voix au discours animé des deux solistes. On ne peut pas ne pas évoquer ici l’esprit de compétition entre les deux instruments qui parcourt tout le concerto. Dès l’entrée des claviers, chacun d’eux semble se moquer de l’autre ou l’imiter. Questions et réponses fusent avec finesse et humour. Les deux interprètes, joliment épaulés par l’ensemble instrumental, mêlent avec art les couleurs spécifiques de leurs instruments : clarté limpide du clavecin de Willem Jansen, riche fruité du pianoforte de Yasuko Uyama-Bouvard.

Dans les deux sonates d’église en ut majeur pour orgue et cordes de Mozart, Yasuko Uyama-Bouvard tient le clavier de l’orgue positif. Contrairement à la KV 328, la KV 336 donne à l’instrument soliste un rôle de premier plan, carrément concertant, dont l’interprète assume l’effervescence. Elle confère enfin au concerto KV 414, du même Mozart, une luminosité, une fraîcheur émouvantes. Car c’est bien d’émotion, de sensibilité dont il s’agit ici. Le pianoforte de Christopher Clark (copie d’un Anton Walter de 1790), dont elle s’est approprié les riches coloris, offre à Yasuko Uyama-Bouvard comme un prolongement naturel de son corps. Léger et transparent, le discours coule comme une eau pure dont les reflets renvoient les teintes les plus diverses du paysage. L’Andante fait rêver, alors que la cadence de l’Allegretto final, entièrement écrite par Mozart et ainsi traduite, bouleverse par le poids de ses silences, lourds d’allusions non exprimées. Un grand bravo aux interprètes qui servent ainsi Mozart avec humilité et ardeur.

L’accueil du public est si chaleureux que le final du concerto doit être bissé…

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