Le troisième concert de la saison des Clefs de Saint-Pierre retrouve Brahms et sa musique de chambre la plus intime, la plus profonde, la plus authentique. Cinq musiciens passionnés, issus de l’Orchestre National du Capitole, conjuguent leurs talents et leur passion pour l’exécution de deux partitions, rares au concert, du grand compositeur. Le partage, l’écoute magnifient les interprétations de deux trios dans lesquels Brahms associe les instruments à vent aux plus traditionnels piano et cordes. Les deux partitions jouées ici mettent en valeur les caractéristiques propres de deux instruments à vent particulièrement aimés de Brahms : le cor et la clarinette.
Comme le rappelle Serge Krichewsky en début de soirée, la perception que les Français ont de la musique de Brahms s’est considérablement modifiée. Avec le titre de son fameux roman « Aimez-vous Brahms », Françoise Sagan déclarait avoir choisi un compositeur « peu connu ». Elle avait raison en 1959, alors que le public français éprouvait encore quelque peu les réticences de Debussy qui déclarait à son propos, de manière provocatrice : « Fuyons ! Il va développer… » Le fait que l’auditorium Saint-Pierre des Cuisines ait affiché complet ce 20 janvier 2014 en dit long sur l’évolution des goûts du public.
De gauche à droite : Emilie Pinel, clarinette, Irène Blondel, piano,
Elise Robineau, violoncelle – Photo Classictoulouse –
Comment en effet rester insensible à la beauté et la profondeur d’une telle musique ? Le Trio pour clarinette, violoncelle et piano en la mineur op. 114, qui ouvre le concert date des dernières années de Brahms, celles qui ont vu naître les crépusculaires Fantasien op. 116, Intermezzi op. 117, ou encore Klavierstücke op. 118 et 119. Considéré comme une esquisse du magistral Quintette pour clarinette et quatuor à cordes op. 115, ce trio souffre encore, injustement d’ailleurs, de la proximité de ce chef-d’œuvre. Emilie Pinel, à la clarinette, Elise Robineau, au violoncelle et Irène Blondel, au piano, investissent ce monde nostalgique et automnal avec une musicalité et une profondeur expressive admirables. La cohésion de leur association, le naturel de leurs échanges, la sensibilité qu’elles déploient ici atteint une sorte de perfection de la forme comme du fond de leur interprétation. Ces musiciennes respirent, sourient, souffrent d’un même élan. Après la nostalgie douloureuse de l’Allegro alla breve initial, elles tissent le rêve mélancolique de l’Adagio, soulignent la finesse de l’Andantino grazioso, pour enfin laisser couler la gaieté sereine du Finale. Comme un sourire à travers les larmes. Admirons l’ardeur de la pianiste, l’infinie variété de couleurs et de dynamique de la clarinettiste et de la violoncelliste, qui mêlent leurs sonorités avec un charme irrésistible.
De gauche à droite : Audrey Loupy, violon, Irène Blondel, piano, Thibault Hocquet, cor
– Photo Classictoulouse –
Le trio pour cor, violon et piano en mi bémol majeur op. 40, qui date de 1864, complète cette chaleureuse soirée. Il s’agit ici de l’œuvre d’un jeune homme de trente-et-un ans qui vient de perdre sa mère. Même s’il est toujours hasardeux de vouloir retrouver des éléments biographiques dans les pièces musicales, on ne peut s’empêcher de penser que le bouleversant Adagio mesto de ce trio évoque cet événement tragique. Avec l’introduction du cor, instrument sylvestre et pastoral par excellence, Brahms se fait peintre des paysages, de la nature et de la forêt, chers aux romantiques. Au piano d’Irène Blondel, toujours aussi intense et profond, se joint ici le violon chaleureux d’Audrey Loupy et le cor subtil et raffiné de Thibault Hocquet. L’association fonctionne à merveille. Chaque interprète conserve ses propres caractéristiques tout en bâtissant une authentique identité à trois. L’ivresse juvénile du Scherzo, qui suit la nostalgie de l’Andante initial, ouvre la voie à ce tragique Adagio mesto qui suspend le temps. L’exaltation joyeuse du Finale ramène le sourire et le bonheur. Chaque interprète s’investit avec conviction et talent. En particulier, Thibault Hocquet réalise au cor des phrasés d’un extrême raffinement, tout en jouant sur la beauté d’un timbre doré.
Les cinq musiciens réunis pour un bis original – Photo Classictoulouse –
Le succès de la soirée appelle à l’évidence un bis. Les cinq musiciens se réunissent alors pour jouer un inédit : la Danse Hongroise n° 6 de Brahms dans un arrangement pour clarinette, cor, violon, violoncelle et piano, habilement concocté par Christopher Waltham, lui–même valeureux violoncelliste à l’Orchestre National du Capitole. On vous le répète, une vraie famille !
