De retour à a tête de l’Orchestre national du Capitole, le grand chef allemand Cornelius Meister se retrouve en terrain connu. Il a en effet déjà dirigé avec succès l’orchestre toulousain à plusieurs reprises. Il partage cette fois l’estrade de la Halle aux Grains avec le jeune pianiste coréen Sunwook Kim, déjà invité, notamment en 2017 et en 2020, du Festival Piano aux Jacobins. Un programme consistant et haut en couleurs mettait en évidence les qualités conjuguées des musiciens, du chef et du soliste.
Johannes Brahms ouvre cette soirée du 10 juin avec son Concerto n° 2 pour piano et orchestre. Souvenons-nous que le compositeur hanséatique n’était pas vraiment apprécié en France en son temps. Debussy lui-même, qui n’était pas tendre avec ses contemporains, s’est exclamé à propos de sa musique jugée trop « germanique » : « Fuyons, il va développer ! » N’oublions pas non plus que Brahms admirait tellement Beethoven, considéré comme le maître absolu de la symphonie, qu’il n’osa aborder ce monde que très tardivement, à l’âge canonique de 43 ans !
Conçu entre ses 2ème et 3ème symphonies, ce somptueux second concerto possède les dimensions et la structure d’une vaste symphonie avec piano, en quatre mouvements. Brahms écrit à son ami Herzogenberg avec son humour particulier, « Je dois vous dire que j’ai écrit un petit concerto pour piano, avec un joli petit scherzo. » En fait rien de « petit » dans cette partition d’une incroyable richesse musicale et d’une ampleur nouvelle pour l’époque.
C’est bien ainsi que l’abordent le chef, l’orchestre et le soliste lors de cette soirée du 10 juin. Le sublime solo de cor a capella (toujours excellent Jacques Deleplancque) ouvre les vannes au déferlement du piano de Sunwook Kim qui offre une introduction torrentielle de cet Allegro non troppo. L’inquiétude succède au triomphe tout au long de ce mouvement au cours duquel les échanges entre un piano incandescent et un orchestre aussi respectueux que bouillonnant prend par instants des allures de combat. Admirons néanmoins le bel équilibre sonore qui se maintient jusque dans les tutti extrêmes.
Dans le « joli petit scherzo » qui suit, noté tout de même Allegro appassionato, la véhémence du premier motif et l’angoisse qui émane du second se complètent admirablement. Il faut attendre les premières notes de l’Andante, confiées au violoncelle solo, pour que s’apaise enfin l’agitation fébrile. Pierre Gil, l’acteur assumé de ce passage hors du temps de musique de chambre, fait un moment jeu égal avec le piano lumineux et poétique de Sunwook Kim. Un instant rompue par l’épisode agité et fébrile introduit par le piano, l’atmosphère de méditation sereine évoque, ainsi que l’écrit le musicologue britannique Sir Donald Tovey « …quelques notes espacées comme les premières étoiles qui illuminent le ciel au crépuscule. Lorsque les cordes interviennent, le calme possède la profondeur de l’océan. »
Le Final Allegretto grazioso, conclut ce concerto sur une note optimiste. Léger gracieux, le toucher du pianiste précède l’apparition du motif résolument tsigane qui constitue une des caractéristiques particulières de Brahms. L’énergie débordante, teintée de joie sans mélange, qui anime aussi bien le jeu du pianiste que celui de l’orchestre illumine une conclusion festive.
L’accueil chaleureux du public ramène sur le plateau non seulement le chef et le pianiste, mais également, le violoncelle solo Pierre Gil, responsable de la belle introduction de l’Andante. Sunwook Kim offre enfin un bis dans le prolongement du concerto. Il joue avec finesse et profondeur l’Intermezzo op. 118 n° 2, l’une des ultimes pièces crépusculaires de Johannes Brahms.
Avec la Fantaisie pour orchestre, La Petite Sirène (Die Seejungfrau), du compositeur autrichien Alexander von Zimlinsky, Cornelius Meister aborde un répertoire plus rare qui mérite tellement une diffusion digne de sa qualité musicale. Alexander von Zemlinsky, qui fut le professeur d’Arnold Schönberg, représente le chainon manquant entre Richard Strauss et Gustav Mahler, d’une part, et la jeune génération, plus radicale des Schönberg, Berg et Webern. Restée fidèle au langage postromantique, son œuvre est encore largement à redécouvrir.
La Fantaisie pour orchestre La Petite Sirène, composée en 1903 par Alexander Zemlinsky, illustre le conte éponyme du Danois Hans Christian Andersen. Elle se caractérise par une splendeur orchestrale et une richesse d’inspiration impressionnantes. La grandeur musicale que Zemlinsky insuffle à ce drame est admirablement restituée et structurée par la direction à la fois contrastée et colorée de Cornelius Meister pour lequel l’œuvre semble n’avoir aucun secret. Il la dirige d’ailleurs sans partition !
Dès le premier des trois mouvements qui composent l’œuvre, l’évocation du monde des profondeurs océanes bénéficie de la richesse sonore des pupitres d’instruments graves comme les bassons, les trombones et le tuba. L’agitation qui traduit le dramatique naufrage de l’embarcation du Prince atteint d’incroyables paroxysmes. La caractérisation musicale de la Petite Sirène emprunte la voie (et la voix) du premier violon (comme toujours l’excellent Kristi Gjezi) dont le thème reviendra tout au long de la narration. On y découvre aussi l’incarnation du Prince par le violoncelle solo, Pierre Gil, de nouveau à l’œuvre.
Les contrastes du deuxième volet sont habilement dirigés par Cornelius Meister qui anime avec éclat la scène du bal au palais du Roi des Mers. Enfin le troisième mouvement voit défiler les événements dramatiques du conte dans toute leur diversité. Les couleurs vives de tout l’orchestre y sont sollicitées, de l’expression douloureuse de la Petite Sirène à l’animation dramatique des péripéties finales. Jusqu’à l’ultime crescendo qui illustre la transfiguration de l’héroïne des profondeur marines vers les esprits de l’air. Une fois encore tous les pupitres de l’orchestre manifestent la même ferveur colorée qui rend enfin justice à la richesse d’écriture du grand orchestrateur qu’est Alexander Zemlinsky.
Confirmation et découverte étaient au programme de cette belle soirée.