Concerts

Bach selon Pygmalion, de l’ombre à la lumière

Le choeur et l'orchestre Pygmalion dirigés par Raphaël Pichon - Photo Classictoulouse -

Le chœur et l’orchestre Pygmalion, sous la direction de Raphaël Pichon, ont porté à son apogée le programme Bach de leur concert du 21 novembre dernier à La Halle aux Grains. Présentée dans le cadre de la saison des Grands Interprètes, cette soirée musicale a recueilli l’ovation triomphale d’un public enthousiasmé à juste titre par l’exceptionnelle qualité de cette prestation.

Fondé en 2006 par Raphaël Pichon, l’ensemble Pygmalion réunit un chœur et un orchestre jouant sur instruments d’époque. L’originalité de sa démarche réside dans la recherche permanente des filiations qui relient les époques et les compositeurs, Bach à Mendelssohn, Schütz à Brahms ou encore Rameau à Gluck et Berlioz. Fréquemment invité par l’association Les Grands Interprètes, Pygmalion a choisi cette fois de se consacrer à Johann Sebastian Bach, mais pas seulement. On sait que le célèbre cantor de Leipzig est issu d’une vaste dynastie de musiciens et compositeurs qui remonte au XVIème siècle et a compté près de quatre-vingts individualités actives dans ce domaine.

Johann Sebastian a lui-même donné naissance à quatre compositeurs devenus célèbres : Wilhelm Friedmann, Carl Philipp Emanuel, Johann Christoph Friedrich et Johann Christian. C’est au cousin germain du père de Johann Sebastian, Johann Christoph, que Raphaël Pichon s’est intéressé.

Raphaël Pichon – Photo Classictoulouse –

Le concert du 21 novembre s’ouvre ainsi sur un motet de cet ancêtre qui joua un rôle important dans la formation du jeune Johann Sebastian. Le motet intitulé « Mit Weinen hebt sich’s an » (Avec des pleurs commence cette vie pitoyable). Il marque le point de départ d’une succession de partitions liées de manière particulièrement intelligente, raffinée et émouvante, et qui évolue de l’ombre vers la lumière.

Composé pour chœur a cappella, ce motet, d’une grande beauté polyphonique et d’une émouvante profondeur expressive, met en valeur les qualités admirables du chœur Pygmalion : précision, pureté vocale, équilibre parfait entre les registres, phrasés raffinés et impeccable diction germanique !

La partition de Johann Sebastian Bach qui suit prolonge cette atmosphère de profondeur tragique. Il s’agit de la Cantate « Es ist nichts Gesundes an meinem Leibe » (Il n’est rien de sain en ma chair) BWV 25, tout imprégnée d’un étonnant sentiment morbide. Soutenus avec ferveur et finesse par l’ensemble instrumental, les solistes (ténor, basse et soprano) traduisent cette angoisse avec une musicalité exemplaire.

La mezzo-soprano Lucile Richardot et la basse Christian Immler – Photo Classictoulouse –

Les Cantates qui composent le reste du programme lèvent enfin le voile vers la lumière et reçoivent le soutien du quatuor exceptionnel de solistes vocaux réuni ce soir-là. La soprano Maïlys de Villoutreys, d’une lumineuse fraîcheur vocale, la mezzo-soprano Lucile Richardot, au timbre coloré et d’une belle rondeur, composent un duo de voix féminines proche de l’idéal. Le célèbre baryton-basse allemand Christian Immler déploie une admirable science de la vocalisation sur une parfaite émission aux couleurs sombres. Quant au ténor américain Laurence Kilsby, il apparaît comme l’idéal vocal de ce répertoire. Un timbre d’une finesse angélique, un art consommé de la vocalisation, un sens profondément musical du phrasé, autant de qualités qui donnent tout leur sens et toute leur expression au paroles admirablement prononcées. Une authentique découverte que l’on espère revoir à Toulouse !

La soprano Maïlys de Villoutreys et le ténor Laurence Kilsby – Photo Classictoulouse –

Avec la Cantate « Unser Mund sei voll Lachens » (Notre bouche s’emplit de rires) BWV 110, le contraste n’est pas mince à la suite de l’expression désespérée des premières pièces. L’ensemble instrumental brille de tous ses feux. D’autant plus que resplendit ici l’éclat des trompettes. Là aussi nous bénéficions d’un pupitre exceptionnel de musiciens. Le soliste Mark Bennett réalise de véritables performances autant techniques que musicales lorsqu’on réalise les difficultés redoutables des partitions abordées. La pratique de la trompette naturelle n’est pourtant pas de tout repos. On ne peut alors qu’admirer la virtuosité sans limite, le timbre de lumière d’un artiste impressionnant. Ses deux collègues de pupitre participent à cette réussite éblouissante.

Toute la seconde partie du concert est consacrée à trois pièces de la même veine. Le chœur d’entrée de la Cantate « Erfreut euch, ihr Herzen » (Que les cœurs se réjouissent) BWV 66/1 déclenche une irrésistible jubilation, encore une fois attisée par la flamboyance des trompettes.

La dernière des cantates au programme, « Ein feste Burg ist unser Gott » (Une forteresse sûre est notre Dieu) BWV 80, la plus célèbre des quatre inscrites au programme, complète cette célébration ardente de foi. Arias, récitatifs animés, duettos se succèdent avec toute l’intensité que Raphaël Pichon insuffle à ses interprètes. Prestigieuse cerise sur le gâteau, le choral final s’enchaîne comme par miracle avec le sublime Sanctus de la Messe en si mineur BWV 232. Une fête chorale et instrumentale qui semble célébrer l’arrivée à un paradis de lumière. Signalons que, comme tout au long du concert, les quatre chanteurs solistes intègrent le chœur lorsqu’ils ne sont pas au premier plan pour une aria ou un récitatif.

L’ensemble des interprètes au salut – Photo Classictoulouse –

Saluons enfin les multiples qualités de l’orchestre dans toutes ses composantes : précision, justesse, couleurs. En particulier, le continuo tient sa place d’accompagnement de luxe avec finesse et ardeur.

De chaleureuses ovations saluent, pendant de longues minutes, ce qui ressemble à véritable exploit qualitatif. Bravo à tous et en particulier à Raphaël Pichon. Ce répertoire semble couler dans ses veines !

Serge Chauzy

Programme du concert donné le 21 novembre 2023 à 20 h à la Halle aux Grains de Toulouse :

Johann Christoph Bach

  • “Mit Weinen hebt sich’s an”, Motet  

Johann Sebastian Bach

  • “Unser Mund sei voll Lachens” BWV 110

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