Le 20 septembre dernier, le jeune pianiste finno-cubain Anton Mejias a fasciné le nombreux public du cloître des Jacobins avec une seule œuvre musicale réputée difficile d’accès et pourtant fondamentale dans l’histoire de la musique. Avec le livre II du Clavier bien tempéré de Johann Sebastian Bach l’interprète a transcendé avec panache et sagesse cette partition sublime et inventive.
Si Anton Mejias fait ce soir-là ses débuts dans le cadre du Festival Piano aux Jacobins, il s’est pourtant déjà produit à Toulouse sur la scène de l’Opéra national du Capitole. En effet, le 24 février 2023, il accompagnait le grand baryton Matthias Goerne dans une exécution mémorable du Winterreise (Le Voyage d’Hiver) de Franz Schubert. Né en 2001, Anton Mejias est fasciné dès son plus jeune âge par la musique de Bach. Il a fait ses débuts en récital à l’âge de huit ans et, à dix ans, il avait déjà appris l’intégralité du Clavier bien tempéré, livre I ! Il a étudié à l’Académie Sibelius à Helsinki, poursuit actuellement un baccalauréat au Curtis Institute of Music et travaille également avec le grand pianiste Gary Graffman. En août 2023, Anton Mejias a fait ses débuts aux États-Unis avec le Los Angeles Philharmonic au Hollywood Bowl sous la direction de… Tarmo Peltokoski, le nouveau directeur musical de l’Orchestre national du Capitole. Un lien s’est peut-être tissé avec la Ville rose !
Le Clavier bien tempéré — en allemand : Das Wohltemperierte Klavier— BWV 846-893, de Johann Sebastian Bach, se compose de deux cycles de 24 préludes et fugues chacun. Ces deux recueils sont l’une des œuvres les plus importantes dans l’histoire de la musique classique.
Chacun des deux livres propose un prélude et une fugue dans chacun des 12 tons et modes majeur et mineur, soit 24 préludes et fugues, dont l’objectif est à la fois musical, théorique et didactique. Dans les années 1770, Le Clavier bien tempéré commence à influencer la musique : Haydn et Mozart l’ont étudié de près.
Après avoir joué le Livre I de ce recueil dans son jeune âge, Anton Mejias aborde avec une science, une technique et une musicalité remarquables le second livre (BWV 870-893) dont le manuscrit autographe a été copié entre 1738 et 1743.
S’il fait une seule courte pause après le douzième des vingt-quatre Préludes et Fugues, il enchaîne les pièces avec subtilité et les joue sans partition, ce qui est en soi une véritable performance pour une œuvre aussi complexe de plus de deux heures. Alors que ce Clavier bien tempéré a été conçu pour clavecin, l’interprète prend soin d’utiliser au minimum la pédale de son piano Steinway dont il favorise la clarté de la sonorité. Sous son toucher, la richesse de l’écriture bénéficie d’une lisibilité exemplaire. Aussi bien dans les Préludes que dans les Fugues, la transparence du jeu permet à chaque voix de s’exprimer.
Par ailleurs, l’interprète confère son caractère spécifique à chaque épisode dont il éclaire la structure, jouant, au sens propre du terme, sur la dualité. Parfois la Fugue anime le propos du Prélude, parfois elle le calme. La sérénité alterne avec la vivacité. Le rythme de la danse émerge souvent de son jeu. En résumé, la plus grande diversité fait vivre un texte musical d’une prodigieuse effervescence.
Le temps suspendu, le silence presque religieux qui accompagnent toute cette exécution se meut en une ovation enthousiaste du public à l’issue du dernier Prélude et Fugue de ce second livre. Bien évidemment aucun bis ne saurait rompre l’unité d’un tel ouvrage et les applaudissements prolongés de l’assistance ressemblent avant tout à un chaleureux remerciement.
Serge Chauzy