La 6ème édition d’Orchestres en fête, cette joyeuse manifestation créée par l’Association Française des Orchestres en 2008 pour mieux faire connaître à tous les publics la richesse et la diversité du répertoire classique, bat son plein à Toulouse. L’Orchestre national du Capitole y participe activement. Le concert donné à la Halle aux Grains le 22 novembre dernier, sous la direction du chef estonien Kristjan Järvi, illustre parfaitement cette adéquation entre la musique et la fête à laquelle le jeune pianiste russe Denis Kozhukhin a apporté sa fervente contribution.
Le jeune pianiste russe Denis Kozhukhin, soliste du concerto n° 4 de Rachmaninoff
– Photo Classictoulouse –
Kristjan Järvi appartient à une famille d’origine estonienne entièrement dédiée à la musique. Son père Neeme et son frère aîné Paavo sont également des chefs d’orchestre réputés. Sa sœur Maarika est flûtiste. Lui-même exerce de nombreuses fonctions à la tête de grandes phalanges européennes, tout en étant très demandé comme chef invité. Il a choisi de diriger à Toulouse un programme d’œuvres, plutôt rares au concert, de deux compositeurs célèbres : Serguei Rachmaninoff et Richard Strauss. En effet si les 2ème et 3ème concertos pour piano et orchestre de Rachmaninoff occupent une place de choix au répertoire des pianistes virtuoses, le 4ème reste le mal-aimé de la série. Créé en 1927 dans sa version initiale, il reçoit un accueil très mitigé du fait de sa longueur inhabituelle. Le dédicataire de l’œuvre, Nicolas Medtner écrit même : « Il faudra probablement le jouer en quatre soirées comme le Ring (de Wagner – ndlr) ! ». Entièrement remanié en 1941, le concerto retrouve des proportions plus « raisonnables », mais conserve un certain éparpillement des idées et des motifs. Il n’en manifeste pas moins un élan puissant et une écriture pianistique virtuose et festive. Le soliste de la soirée, le jeune Denis Kozhukhin, âgé de seulement 26 ans, est propulsé sur le devant de la scène internationale après avoir remporté le Premier prix au Concours Reine Elizabeth de Belgique à Bruxelles en 2010.
Il aborde cette partition avec une certaine distance expressive qui convient parfaitement à l’écriture pianistique. Un peu comme le compositeur lui-même, lorsqu’il jouait ses propres œuvres, il ne se complait jamais dans un sentimentalisme qui a beaucoup nui à l’image de ces concertos. Son jeu, d’une lumineuse clarté et d’une précision parfaite, conserve une sorte de dignité acérée à laquelle l’orchestre, dirigé avec flamme, fournit un commentaire effervescent mais implacable. Après la grande déclamation de l’Allegro vivace initial, l’austérité du Largo central ouvre la voie au final plein de ruptures qui s’achève sur un élan vigoureux d’une efficacité d’autant plus forte que le piano et l’orchestre regardent dans la même direction.
Largement acclamé, Denis Kozhukhin offre deux bis : un céleste Prélude de Bach transcrit par Alexander Siloti et l’ineffable « Danse des esprits bienheureux » extraite de l’Orphée de Gluck, adaptée pour le piano par Giovanni Sgambati.
Kristjan Järvi et l’Orchestre national du Capitole – Photo Classictoulouse –
Auparavant, Kristjan Järvi dirigeait une étrange version orchestrale des Variations sur un thème de Corelli, composées par Rachmaninoff pour le piano solo. Signée du compositeur et chef d’orchestre roumain Corneliu Dumbraveanu, cette version des variations sur le fameux thème ancien des « Folies d’Espagne », ainsi « colorisée », s’avère pleine de contrastes. On y découvre d’originaux soli de hautbois, cor anglais, violon, harpe et même marimba dans lesquels brillent les musiciens de l’orchestre.
La deuxième partie de soirée est entièrement consacrée à l’ultime des grandes partitions symphoniques de la première période créatrice de Richard Strauss. Créée en 1904, cette Sinfonia domestica est également l’un des poèmes symphoniques les moins souvent donnés en concert. Critiquée pour son « programme », considérée par certains comme trop « domestique » précisément, elle se veut illustration autobiographique, familiale même, puisqu’elle est dédiée, comme l’écrit Strauss lui-même, à « Ma chère femme et à mon garçon ». Chacun des quatre mouvements enchaînés paraphrase un épisode de la vie de tous les jours. D’une impressionnante richesse polyphonique, orchestrée de manière flamboyante, elle s’écoute pour le pur plaisir de l’opulence et du raffinement de l’orchestration. Le programme peut facilement s’oublier.
Saluons l’excellence de l’accord réalisé entre le chef et les musiciens. Sous la direction toujours précise et incisive de Kristjan Järvi, chaque musicien se surpasse. A commencer par René Gilles Rousselot dont la trompette poussée dans ses limites relève les nombreux défis avec panache. Un grand bravo également à Thibault Hocquet et à tout son pupitre de cors, particulièrement « soigné » par Strauss. Mais aussi à Sandrine Tilly, à la flûte, Olivier Stankiewicz, au hautbois et à leurs collègues, au pupitre de clarinettes et à David Minetti, aux valeureux trombonistes autour de David Locqueneux, aux bassons vigoureux, dont Lionel Belhacene, sans oublier l’impressionnant tuba de Sylvain Picard. Les percussions, et en particulier les timbales d’Emilien Prodhomme, sont également à la fête, alors que Pierre Gil, violoncelle, et, last but not least, Liza Kerob, premier violon solo, assument leur rôle respectif avec une belle musicalité. Kristjan Järvi ne se prive d’ailleurs pas, en fin de concert, d’adresser ses remerciements à chacune et à chacun. A leur tour, les musiciens rendent un bel hommage à leur chef invité.
Enfin, l’ensemble des musiciens et le chef fêtent le violoniste Michel Truchi qui quitte, pour une retraite méritée, son poste parmi les premiers violons de ce bel orchestre, poste qu’il occupe depuis près de trente-huit années. Belle et longue retraite à lui !