Festivals

Bach avec mention !

Bach to Africa - Photo Classictoulouse -

L’édition 2022 du festival Passe ton Bach d’abord s’est achevée le 12 juin sur une ovation debout dans une Halle aux Grains pleine à craquer d’un public ébloui et enthousiaste. Du vendredi au dimanche de ce week-end animé, les quatre-vingts concerts et évènements de trente minutes proposés dans 25 lieux patrimoniaux ou insolites de la métropole toulousaine ont attiré les curieux comme les mélomanes déterminés.

Remis à plusieurs reprises durant les turbulences de la période écoulée, le festival a enfin fêté sa renaissance dans une floraison d’événements festifs et révélateurs au cours desquels le meneur de jeu, Michel Brun, est parvenu à ranimer la flamme autour de son compositeur fétiche.

Parmi la multitude d’événements musicaux proposés dans des lieux déterminés, il en est un qui surprend par son titre et son déroulement sous forme de fil rouge pendant toute la durée du festival : L’Armoire Polyphonique – Chant a cappella à trois voix bien rangées

Les animateurs de l’armoire polyphonique – Photo Classictoulouse –

L’armoire en question se déplace et se pose en divers lieux de la ville. Elle héberge trois polyphonistes qui attendent que les portes s’ouvrent pour qu’ils chantent l’une de leurs compositions, aux paroles joyeusement iconoclastes et anachroniques. Et c’est aux passants, qui souvent patientent avant un concert, de se montrer suffisamment curieux pour ouvrir eux même ces portes. La bonne humeur est bienvenue !

Laurent Le Chenadec, soliste du concerto pour basson de Vivaldi – Photo Classictoulouse –

Cantates et concertos

Le dimanche en fin de matinée, en la chapelle de l’Hôtel Dieu, l’Ensemble Baroque de Toulouse, dirigé par Michel Brun, accueillait les spectateurs avec l’une des deux-cents cantates du grand Cantor et l’un des trente-neuf concertos pour basson d’Antonio Vivaldi regroupés dans une petite demi-heure sous le titre « Exaltez Bach ». Ce matin-là, le Concerto en do majeur RV 468 ouvre la séquence. L’incontournable bassoniste Laurent Le Chenadec y déploie avec le talent qu’on lui connait sa virtuosité soliste dans les deux seuls mouvements qui ont survécu à l’histoire. A cette occasion, Michel Brun confie aux spectateurs son projet d’offrir un jour (mais dans la durée…) l’intégrale de ces concertos avec la participation du même soliste. Le chef de l’Ensemble Baroque offre ensuite la version pour soprano et traverso de la célèbre et sublime Cantate BWV 82 de Bach, Ich habe genug, dont la version initiale fut écrite pour voix d’alto et hautbois. La soprano Clémence Garcia rejoint alors l’Ensemble Baroque et Michel Brun au traverso. Elle transfigure cette émouvante méditation sur la mort, grâce à la fraîcheur de sa voix virtuose et la douce expression de son chant. Un beau moment d’émotion !

La soprano Clémence Garcia et Michel Brun à la flûte dans la Cantate « Ich habe genug » de Bach
– Photo Classictoulouse –

Les Ombres musicales

En début d’après-midi, l’ensemble Les Ombres abordait la musique pour viole de gambe et clavecin de Johann Sebastian Bach et une pièce pour viole seule de Carl Friedrich Abel. La violiste Margaux Blanchard et le claveciniste Diego Aros jouent d’abord les deux premiers mouvements de la sonate en sol majeur BWV 1027, puis l’intégrale de la Sonate en ré majeur BWV 1028. Une belle démonstration d’éloquence baroque qui associe la finesse sonore de la viole et l’acuité d’un clavecin aussi séduisant pour l’œil que pour l’oreille.

La violiste Margaux Blanchard et le claveciniste Diego Aros – Photo Classictoulouse –

Entre ces deux pièces, un Prélude du violiste virtuose et proche de la famille Bach, Carl Friedrich Abel, met en valeur les sonorités de l’instrument. Pour terminer, l’Adagio rêveur de la Sonate en sol mineur BWV 1029 marque le retour à Bach.

Bach to Africa

Le concert final du festival, réalisé en coproduction avec Odyssud-Blagnac, a donc rempli la Halle aux Grains d’une foule intéressée par le défi que semblait s’être lancé l’Ensemble Baroque et son directeur. Comme l’explique Michel Brun, l’idée consistant à associer musique de Bach et musique traditionnelle africaine est née de l’hommage rendu en 1994 à Albert Schweizer, médecin et organiste, pour son action humanitaire en Afrique (à Lambaréné, au Gabon), par Hugues de Courson et Pierre Akendengué. Cet hommage, baptisé Lambaréna, a consisté à enregistrer cette rencontre inédite entre la musique de Bach (dont Albert Schweizer était un interprète passionné) et la musique traditionnelle africaine.

Les percussions africaines lors du concert final Bach to Africa – Photo Classictoulouse –

Le public qui a rempli la Halle aux Grains a donc vécu cette fusion, a priori improbable et finalement pleine d’évidence, entre deux cultures qui, au lieu de s’opposer, se complètent ! Dès le chœur d’entrée de la Passion selon Saint-Jean qui ouvre le spectacle, l’émotion naît de cette « intrusion » surprenante des percussions africaines au cœur d’une musique sacrée et familière.

Tout au long de ce programme admirablement imaginé, les pièces qui se succèdent s’enrichissent mutuellement de leur substance classique et africaine. Plusieurs virtuoses des percussions africaines, dont Karamoko Koné et Nicolas Henras, la marimbiste Laurence Meisterlin, Adama Keita, formidable joueur de kora, cette harpe africaine aux sonorités magiques, accompagnent la chanteuse Fanta Sissoko, ainsi que le danseur et chorégraphe Clément Assémian. Ces artistes admirables mêlent leurs contributions imaginatives à celles des musiciens classiques avec lesquels la fusion fonctionne dans une profonde harmonie spirituelle.

Le danseur et chorégraphe Clément Assémian – Photo Classictoulouse –

Ainsi le duo Wir eilen mit schwachen, extrait de la Cantate BWV 78 et chanté avec ferveur et finesse par la soprano Clémence Garcia et la mezzo-soprano Caroline Champy-Tursun, reçoit l’accompagnement magique de la kora d’Adama Keita, expert en la matière. L’air Erbarme dich extrait de la Passion selon Saint-Matthieu est associé à la chanson incroyablement proche Yafa ne ma… Les exemples de ces échos culturels se multiplient tout au long de la soirée au cours de laquelle le Chœur Baroque de Toulouse s’implique avec autant d’ardeur dans le chant africain que dans le chant dit « classique ».

La mezzo-soprano Caroline Champy-Tursun et la soprano Clémence Garcia – Photo Classictoulouse –

Acclamés régulièrement par le public, les quelques treize numéros de cette présentation se concluent par le fameux chœur Jesu meine Freude de la cantate BWV 147 sur lequel brode le rythme traditionnel Kakilambé.

Cette magnifique démonstration aussi bien humaine que musicale reçoit finalement une ovation debout de l’ensemble des spectateurs de la Halle aux Grains, manifestement convaincus que la culture constitue le meilleur des liens entre les êtres.

La chanteuse Fanta Sissoko – Photo Classictoulouse –

Emu aux larmes, Michel Brun remercie l’ensemble des participants et le public tout en donnant quelques explications sur ce programme exceptionnel. Il annonce avec confiance l’édition suivante. Ce sera la quinzième !

N’en doutons pas, cette quatorzième édition de Passe ton Bach d’abord laissera une marque profonde pour tous ceux qui ont pu la suivre.

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